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grâce à la Réforme, se croyait capable de fournir à l’univers la sagesse politique et la vérité religieuse. Elle, si dure à certains de ses sujets dans la mère patrie, se fit la patronne des libertés publiques ; elle, partout si âpre au gain, mit son devoir à pourvoir de biens spirituels ceux à qui elle disputait sans scrupule les biens de la terre. De telles contradictions, qui scandalisent notre logique un peu courte, ne prouvent pas la duplicité de ceux qui les commettent. L’âme des Anglais joint sans hypocrisie la générosité religieuse à l’égoïsme mercantile, comme en leurs yeux luit à la fois un dur éclat de métal et la couleur profonde du ciel.

Cependant la plus importante des colonies anglaises, l’Amérique, était devenue elle-même nation. Ses frontières d’océans la faisaient sans voisins à écarter ou à conquérir, lui ouvraient accès à tous les rivages, et elle gardait aussi la double originalité des traits maternels, le réalisme et la mysticité. D’ailleurs elle mêlait au sang aristocratique de la Grande-Bretagne le sang épais et fumeux de la démocratie, et, précisément parce qu’elle était plus peuple, mettait une ardeur plus brutale dans les contradictions de son âme. Tout en poursuivant sans scrupule la destruction des Indiens, elle poussait jusqu’à l’élan, jusqu’à l’angoisse, la conscience de l’aide due aux races inférieures par les races supérieures, et le zèle de l’apostolat religieux. C’est ainsi que les deux peuples les plus libres de leurs actions, et de l’action la plus universelle, se trouvèrent au XIXe siècle les champions de la Réforme.

Ils pensaient de même sur les erreurs qu’il importait de combattre les premières, et sur le moyen le plus efficace de les vaincre. A leurs yeux, la grande division était entre les sociétés qui connaissent et celle s qui ignorent le Christ ; les premières, malgré les divergences et l’inégale valeur des rites, ensemencées de civilisation, les secondes stériles. La majorité des hommes n’avait pas encore reçu l’Évangile, c’est à cette multitude qu’il était urgent de le porter. Quand les infidèles seraient devenus chrétiens, il serait temps de discuter entre frères sur la manière la plus parfaite d’adorer et d’imiter le Christ. Une inspiration vraiment religieuse transfigurait ici l’esprit de secte et triomphait de cette aigreur processive qui cherche volontiers querelle, comme aux plus odieux, aux cultes les plus voisins. En revanche, la foi protestante seule avait persuadé aux futurs missionnaires qu’en la Bible est la « grâce suffisante, » qu’à méditer ce livre, l’homme devient son