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que Jérusalem, la plus auguste relique du Christ, doit appartenir aux chrétiens.

Quels chrétiens ? L’orthodoxie n’estime tels que les orthodoxes, et garde au catholicisme une rancune de sœur ennemie. La même haine qui, religieuse, prépara la rupture entre les deux Eglises ; qui, politique, fit les Grecs complices des musulmans contre les croisés ; qui, nationale, après la prise de Constantinople par les croisés, trouva dans la dépossession des Grecs un nouveau grief contre les Latins, et par ces discordes prépara la victoire du Turc ; la même jalousie hostile qui dans les sanctuaires sollicite sans cesse le clergé orthodoxe à usurper sur les catholiques les pierres et le sol, la propriété d’un mur, la place d’une lampe, l’usage d’un escalier, à pousser dehors ses voisins par une expulsion insensible, survivent dans le cœur des Russes. Ils proportionnent leurs desseins à leurs forces. Ce que les Grecs tentent dans l’ombre des chapelles par une guerre de bedeaux, nombre de Russes rêvent de l’accomplir dans la Palestine entière, et par la puissance ouverte de l’Etat. À ces orthodoxes impatiens d’établir là leur nation pour y fixer leur foi, il n’échappe pas que laisser aux frontières d’une Palestine orthodoxe et russe une Syrie catholique et protégée de la France, serait rendre précaire la conquête. Ils sentent que, pour consolider leur victoire, il faudra l’étendre, et c’est pourquoi ils commencent à se préparer, par la diffusion de leur langue, l’audience de cette contrée. Tant que le français, l’italien et le grec seront les dialectes d’Europe enseignés dans les écoles et parlés dans la province ! , les deux premiers livreront la Syrie à l’influence des missionnaires catholiques, le troisième la soumettra à une orthodoxie hellénique et rivale des ambitions slaves. Le jour où les trois langues seront remplacées par la russe, les confessions ni les races rivales n’auront plus la parole, et il deviendra facile au peuple qui la gardera seul d’imposer ses croyances : alors la conquête sera définitive. Jérusalem est le but, la Syrie est le chemin.

Sans doute le gouvernement russe n’a jamais déclaré siens ces projets. La Société de Palestine a ici encore couvert l’Etat ; mais le voile est de plus en plus transparent, et le titre d’ « Impériale » accordé en 1893 à cette société est la reconnaissance officielle de son caractère officieux. La « Société de Palestine » n’est qu’un incognito de l’Empereur. Les fonctionnaires ne la soutiendraient pas de leurs souscriptions, ni les grands-ducs de leur