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La duchesse du Lude, qui savait les usages, de la tête fit signe que non. Mais Sainctot, l’introducteur des ambassadeurs, poussant la fille de la main, dit à la duchesse de Bourgogne : « Baisez, Madame, cela est dû. » Et la duchesse de Bourgogne, « jeune, toute neuve, embarrassée de faire un affront, » baisa sur cette périlleuse parole. Aussitôt, dans le cercle, étonnemens, murmures, récriminations. Sainctot conduisit ensuite l’ambassadrice et sa fille chez Madame[1]. Même cérémonie : la fille tendit encore son minois. Mais Madame, qui, en sa qualité de princesse allemande, savait l’étiquette sur le bout du doigt, recula brusquement. Sainctot insiste et dit à Madame que la duchesse de Bourgogne venait de faire à la jeune fille l’honneur de la baiser : « Tant pis, répond Madame à haute voix. C’est une sottise que vous lui avez fait faire et que je ne suivrai pas[2]. » Et la pauvre jeune fille s’en alla, sans avoir été baisée.

Ce fut ensuite quand la princesse d’Harcourt, hautaine et entreprenante comme toutes les princesses lorraines, voulut profiter d’un cercle que tenait la duchesse de Bourgogne pour prendre le pas sur les duchesses. L’incident eut lieu à la réception de milord Jersey, l’ambassadeur d’Angleterre. Des tabourets avaient été disposés à droite et à gauche du fauteuil de la Princesse. Les duchesses, arrivées les premières, se mirent toutes à sa droite, qui était le côté d’honneur. Quand les princesses lorraines arrivèrent, force leur fut de se mettre à gauche. Survint, un peu en retard, la duchesse de Rohan, qui, ne trouvant plus de place parmi les duchesses, se mit fort poliment après la dernière des princesses. Enfin arriva, plus en retard encore, la princesse d’Harcourt, qui ne trouvant plus de place à sa convenance, ni à droite, ni à gauche, s’avisa de se diriger vers la duchesse de Rohan et la somma de lui céder son tabouret. La duchesse de Rohan s’y refusa. « Sur quoi, dit Saint-Simon[3], la princesse d’Harcourt n’en fait pas à deux fois, et, grande et puissante comme elle était, avec ses deux bras, lui fait faire la pirouette et se met en sa place. » La duchesse de Rohan, fort troublée, prit néanmoins, en personne de bonne compagnie qu’elle était, le seul parti qu’il y avait à

  1. Nous désignons ainsi la duchesse d’Orléans, seconde femme de Monsieur frère du Roi et grand-père de la duchesse de Bourgogne, dont nous citerons souvent la correspondance. Souvent elle est aussi appelée la princesse Palatine, étant fille de l’Électeur Palatin.
  2. Saint-Simon, édit. Boislisle, t. V, p. 10.
  3. Ibid.. t. V, p. 79.