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Ces négocians furent également investis du droit de faire flotter leurs bûches sur les rivières et étangs privés, voire sur les fossés des châteaux, les seigneurs étant tenus de donner libre accès dans leurs parcs.

« Visage de bois flotté » était au XVIIe siècle une sorte d’injure, un terme de mépris, adressé à qui possédait une figure rude, noire ou couperosée. Le bois flotté avait en effet mauvaise mine et jouissait de peu d’estime au regard des bûches venues par voie de terre. Il manquait « de nerf, » par suite d’une fermentation intérieure qui tendait à le dissoudre, à moins d’avoir été écorcé avant le flottage comme le « pelard des chantiers. » Puis, le « train » restant longtemps en route, les harts de bois qui liaient les bûches se relâchaient, se brisaient au moindre choc, et beaucoup de marchandise se perdait ainsi.

Le commerce a renoncé, depuis une vingtaine d’années, à ce genre de locomotion, réservé uniquement à la charpente. La « communauté » des bois à œuvrer, qui, sauf une réforme légère sous la Restauration, subsiste à Paris depuis 1498, continue à faire flotter ses « parts » de plancher, ses « coupons » de chênes équarris, ou ses « éclusées » de sapin, longues de 37 mètres, suivant la vieille méthode. Le bois destiné aux foyers parisiens arrive dans des bateaux, dont la plupart s’en retournent à vide, à moins qu’ils ne trouvent à emporter de la mitraille de fer, ou de la houille pour les forges du Nivernais.

C’est en effet de la Nièvre et de l’Yonne que viennent plus de moitié des bûches réduites en cendres dans la capitale ; 20 pour 100 sont fournis par l’Oise et l’Aisne, un dixième par Seine-et-Marne et le Loiret. Les arbres ont été abattus et débités en hiver, sous la surveillance de l’acheteur, qui doit exploiter lui-même afin de ne rien perdre des sous-produits. Amenés au ruisseau le plus proche, ils demeurent un an à sécher sur ses bords ; car le bois vert, au lieu de flotter, irait au fond. Au printemps suivant, on procède à la marque de chaque bûche avant de la jeter au fil de l’eau. La famille Lebaudy, à qui appartient le tiers des bois flottables de la Nièvre, a pour signe distinctif un sabot ; d’autres ont une cruche, un cœur, une ancre ou de simples initiales. Tous ces morceaux s’en vont ainsi pêle-mêle jusqu’à la rivière ; surveillés, non par crainte des vols presque nuls, mais afin de prévenir les encombremens parmi les méandres de leur pérégrination.