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Quoi qu’il en soit de l’anecdote, un peu suspecte, le principal changement apporté à la vie de la duchesse de Bourgogne consista surtout en ceci, qu’à partir de la célébration de son mariage, elle fut mêlée à la vie officielle. Jusqu’alors, elle avait été tenue à l’écart des cérémonies comme des plaisirs de la Cour. Son jeune âge et ce qu’il y avait d’un peu ambigu dans sa situation rendait cette vie à part toute naturelle. Il n’en pouvait plus être ainsi depuis qu’elle était devenue la femme de l’héritier du trône, au moins au second degré, et qu’elle avait régulièrement le pas sur toutes les princesses. Il fallait de toute nécessité qu’elle eût un cercle, que les nouveaux et nouvelles venues à la Cour lui fussent présentés, qu’elle reçût les ambassadeurs en audience publique. À ces réceptions, sa jeunesse, son inexpérience, devaient amener plus d’un incident, que Saint-Simon raconte avec force détails. A travers son récit enflammé, il semble qu’on voie la petite princesse timide, incertaine, mais cependant de sens avisé, ayant déjà l’instinct des fautes qu’on lui faisait commettre ou des infractions auxquelles on s’enhardissait devant elle. Ces minuties de l’étiquette avaient une importance capitale dans un temps et dans une société qui reposaient sur le principe d’une stricte hiérarchie. Ce qu’on aurait peine à croire, c’est que la cour de Louis XIV était une de celles où l’on prenait le moindre souci de ces questions. « Notre Cour, dit le baron de Breteuil, dans ses Mémoires encore inédits[1], est celle de toute l’Europe où l’on a le moins d’attention aux cérémonies et où l’on s’en préoccupe le moins. » Il faut donc juger de ces choses comme de beaucoup d’autres, avec l’esprit du temps, et d’ailleurs il n’est pas bien certain que, dans cent ans d’ici, les exigences de notre protocole républicain ne fassent pas sourire tout aussi bien que les cérémonies de la cour de Louis XIV. Cela dit, voyons quels sont les incidens qui émurent si fort Saint-Simon.

Ce fut d’abord à la réception de l’ambassadrice de Hollande, Mme de Heemskerk, lorsque, celle-ci ayant été baisée par la duchesse de Bourgogne, comme cela était son droit, sa fille, pour parler comme Saint-Simon, « tendit son minois » pour être baisée également. Étonnée, incertaine, la duchesse de Bourgogne hésita.

  1. Les Mémoires du baron de Breteuil, qui partageait avec Sainctot la charge d’introducteur des ambassadeurs, sont en original à la bibliothèque de l’Arsenal. Un fragment, d’où nous tirons cette phrase, a été publié à la suite du Journal de Dangeau, t. XVIII, p. 338.