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Un autre avatar du bois est le papier, dont j’ai parlé dans une étude précédente[1]. Plus de quinze cent mille tonnes de bois sont manufacturées annuellement : un sapin de belle venue, âgé de 40 ans, représente un mètre cube à l’état brut ; mais, ébranché, écorcé, etc., il ne fournit pas plus de 150 kilos de pâte propre à la papeterie. Si bien qu’un journal à grand tirage absorbe, à lui seul, une centaine d’arbres par numéro, — on peut calculer que le Petit Journal en dévore 170. — Les forêts de l’Europe seront-elles ainsi peu à peu fauchées et imprimées à fond ? Le bocage deviendra-t-il sans aucun mystère, et les rossignols de muraille demeureront-ils le dernier vestige de leur poétique espèce ?

Le charbon de terre est lui-même, indirectement, un grand consommateur de ce bois qu’il semble remplacer. La perche de mine, employée à l’étayage des galeries, est un débouché fructueux pour les propriétaires de taillis. Il en résulte une évolution dans la sylviculture, où l’on s’applique à faire des coupes moins fréquentes, afin d’obtenir des tiges, des « brins, » plus longs et plus forts.

Il faut en moyenne, par tonne de houille extraite, un 20e de stère en bois de perche ; ce qui, pour les seules mines françaises, correspond à environ 1 200 000 stères. Les houillères anglaises en consomment proportionnellement beaucoup moins ; mais, comme leur production est presque huit fois plus forte que la nôtre, le boisage nécessaire à ces myriades de corridors souterrains oblige nos voisins à faire venir du continent un stock énorme, et qui augmente sans cesse. En 1870, nous vendions à la Grande-Bretagne pour 800 000 francs par an de perches de houille ; ce seul article dépasse aujourd’hui 10 millions. Il est du reste curieux d’observer que l’Angleterre, ce pays du fer et de la houille, est le plus grand acheteur de bois du monde entier ; ses importations s’élèvent, pour ce chapitre, à 422 millions de francs et prennent des formes très variées, témoin les moitiés de porcs expédiés, de Belgique à Londres, dans des cercueils dont la capitale du Royaume-Uni se sert pour enterrer ses pauvres.

Des compagnies en quête de progrès, celle de Maries par exemple dans le Pas-de-Calais, ont, depuis quelques années, tenté de substituer le fer au bois pour le soutènement des galeries et des « tailles ; » procédé plus économique, dit-on, car ces états en

  1. Voyez, dans la Revue du 1er décembre 1895, le Mécanisme de la vie moderne, VII, Le Papier.