Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/806

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comte d’Artois, qui est franc et loyal et qui a le cœur noble et sensible.

MADAME BONAPARTE. — Puisque nous sommes seules et qu’il m’arrive si rarement de pouvoir ouvrir mon cœur, je vous dirai bien franchement : on dit beaucoup de mal d’un nommé D… qui est auprès de M. le comte d’Artois et qui est, dit-on, vendu à l’Angleterre, et qui reçoit des sommes considérables pour faire réussir des conspirations. On dit, dans un autre genre, du mal de Mer l’évêque d’Arras ; on le trouve incapable de donner de bons conseils. On croit généralement qu’il y a beaucoup d’inconvéniens à ce que le conseiller intime et celui qui a la confiance de M. le comte d’Artois soit un homme de plus de soixante ans et un prêtre. Ensuite, je vous dirai, madame, que M. le comte d’Artois ferait bien mieux de s’établir dans une campagne que de rester à Londres ; je crains qu’il ne veuille, ni ne puisse quitter l’Angleterre, et qu’il trouve Edimbourg trop loin : mais, s’il habitait une campagne, les méchans ne pourraient pas dire qu’il voit sans cesse les ministres et qu’il est de moitié dans tout ce qui se trame contre la France, et c’est ce que l’on finira par croire à la longue. Il faut encore que je vous dise ce que les Princes ont le plus à redouter : ce sont les petits généraux et les officiers qui sont parvenus à ces grades par leur bravoure. Ils sont tous convaincus que, si le Roi revenait, ils seraient obligés de quitter le service, parce que le Roi voudrait donner leurs places à la noblesse ; tous ces officiers seront faciles à gagner, si on veut leur faire croire qu’ils seront conservés et que la noblesse servira avec eux ; c’est une des choses les plus nécessaires ; de grâce, faites-le savoir. La religion revient tous les jours, et l’on n’aurait jamais pu penser, il y a un an, que l’on pourrait aujourd’hui entendre de bonnes messes[1].

Si les prêtres ne veulent pas aller trop vite, ils feront de grands progrès. Il est nécessaire de seconder Bonaparte ; il ne peut pas tout faire à lui seul, mais il faut qu’on lui donne plus de confiance, et il est plus satisfait du Roi que de M. le comte d’Artois sous ce rapport. Bonaparte est bien mal entouré, je le sais, et c’est ce qui me tourmente le plus. Presque tous les généraux et les aides de camp qui l’environnent sont détestables et ne le quittent jamais ; s’ils s’apercevaient, de la part de Bonaparte, de la

  1. Allusion aux prêtres qui avaient prêté serment à la constitution civile du Clergé.