Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/802

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je partis d’un éclat de rire à la fin de cette phrase, et je dis :

— Assurément, vous êtes bien mal informé : premièrement, ce sont des circonstances politiques qui ont enchaîné l’ardeur des Princes ; quant à M. D…, il est traité comme il doit l’être par M. le comte d’Artois et il n’a pas son entière confiance ; pour l’évêque d’Arras, c’est un honnête homme. Les sociétés ordinaires d’Anglais que voit M. le comte d’Artois sont dans le parti de l’opposition ; il voit rarement les ministres, mais tous les Anglais qui le connaissent, de quelque parti qu’ils soient, l’aiment et savent admirer son courage et ses vertus ; mais quant au duc de Portland, il y a de quoi rire de l’entendre juger comme vous faites ; c’est un excellent homme, qui n’a pas beaucoup d’esprit, qui est entêté et même un peu opiniâtre, mais qui aime mieux le vin que le sang.

— On n’a pas besoin d’esprit pour être sanguinaire.

— Nous le savons bien, monsieur, répondis-je.

— Eh bien ! madame, M. le comte d’Artois veut donc rester en Angleterre ? Il a tort, il est avec ses ennemis, nos ennemis, et c’est lui qui fait faire toutes ces conspirations contre le Consul.

— Oh ! vous savez très bien que ce n’est pas lui.

— C’est tout comme, puisque c’est D… qui reçoit de l’argent pour cela : il commence par en mettre au moins la moitié dans sa poche, et il se sert du reste pour faire des bêtises ; je vous dis que cet homme est à l’Angleterre, et si M. le comte d’Artois ne le sait pas, je le sais, moi, et je suis mieux informé que lui sur tout ce qui se passe. Du reste il fait mal, ainsi que Louis XVIII, d’exposer inutilement leurs amis, puisqu’ils n’ont pas la force de les soutenir ; et ce n’est pas avec les conseils d’un prêtre qu’on retrouve le trône qu’on a perdu.

Il s’arrêta un moment comme pour réfléchir, puis il me dit :

— Vous êtes peut-être envoyée par les princes : savez-vous que ce ne serait pas maladroit à eux.

— Je m’entends trop peu aux affaires pour m’en mêler. D’ailleurs, ces sortes de choses ne nous regardent point, nous autres femmes ; je ne m’entends bien qu’à parler de ce qui peut intéresser mon cœur ; aussi puis-je dire, avec vérité, que je suis on ne saurait plus attachée à M. le comte d’Artois, et je veux si peu m’en cacher que je serais fâchée que qui que ce soit en doutât.

— Ah ! oui, je vous entends ; vous n’êtes pas changée, je le vois, vous êtes comme tant d’autres que le malheur ne corrige pas.