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— Je n’ai pas le temps de traiter mes affaires ; d’ailleurs, je ne m’y entends pas et je n’ai songé en venant en France qu’au bonheur de revoir une amie que j’y avais laissée depuis douze ans.

— Vous venez donc de l’Angleterre, et de Londres, je pense ; oserais-je vous demander quelle était votre société en Anglais ?

— La duchesse de Devonshire et les personnes qui vont chez elle.

— Et en Français ?

— M. le comte d’Artois que je vois sans cesse, ainsi que tous les Français de ma connaissance.

Il fit un mouvement, me regarda et me dit en souriant :

— Ah ! vous êtes de la société intime de M. le comte d’Artois ; est-il toujours léger, volage, s’amusant de tout ?

— Il n’est rien de tout cela, mais fidèle ami, sachant supporter le malheur avec courage, franc, loyal et bon Français, car il ne peut s’empêcher de les aimer, lui qui souffre tant pour eux.

— Il n’avait qu’à faire ce qu’a fait Bonaparte, mais actuellement tout est fini. Tenez, madame, si Bonaparte voulait remettre Louis XVIII sur le trône, il ne le pourrait pas ; moi et lui le voulant, souvenez-vous que cela n’est plus possible ; on ne peut pas faire vouloir au peuple ce qu’il ne veut pas absolument.

— Ah ! monsieur, je crois que vous n’êtes pas de bonne foi : personne ne sait mieux que vous que le peuple est une machine que l’on fait agir comme on veut.

— Cela est très bien, mais ce n’est plus le moment. Les Français sont devenus guerriers ; de tous temps, ils ont été braves ; mais, à présent, ils aiment la gloire ; les Princes auraient dû se montrer davantage ; ils doivent maintenant se tenir tranquilles ; on sait fort bien que M. le comte d’Artois fait agir sourdement le gouvernement anglais contre la France (cela n’est guère aimer sa patrie). On sait très bien aussi que le nommé D… le fait agir et tourner comme il lui plaît et que cet homme est vendu au ministère ; on sait encore que l’évêque d’Arras est le conseil de M. le comte d’Artois : c’est un homme détestable qui ne lui donnera que de sots conseils ; mais au reste, comme je vous l’ai déjà dit, cela n’y fait rien ; j’oubliais de parler du duc de Portland, que l’on connaît aussi bien que les autres ; on sait qu’il est dans la manche de M. le comte d’Artois, que c’est un homme sanguinaire et capable de tout.