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Maingaud vint chez moi pour m’engager à rester et, comme j’étais un peu souffrante et que je n’étais pas fâchée de les voir encore, j’y consentis, ce qui parut faire un égal plaisir au mari et à la femme, car ils m’en firent des remerciemens, l’un et l’autre. Je dînai donc encore en tiers avec eux ; ils me proposèrent d’aller me promener après dîner ; j’acceptai, parce que je vis M. Maingaud en train de parler ; mais ce ne fut cependant pas sans une sorte de terreur que je me vis seule et sans domestique, entre le mari et la femme, allant chercher une promenade champêtre à deux lieues de la ville. Pendant cette promenade, Maingaud parla davantage et avec plus de confiance qu’il n’avait encore fait.

— Je tiens beaucoup, m’a-t-il dit, à ce que M. le comte d’Artois ne me croie plus jacobin ; ayez la bonté de le lui faire savoir : nous n’aimons pas les Anglais, nous croyons qu’il nous font en dessous beaucoup de mal, et nous sommes fâchés de voir M. le comte d’Artois chez eux : cependant, je ne vois pas où il pourrait être ; j’ai de lui, ajouta-t-il, la plus grande opinion ; il est franc, loyal, bon, et il a tout ce qu’il faut pour enthousiasmer ; on le craindrait encore, s’il avait porté les armes : la nation française est devenue guerrière et elle ne peut plus être enthousiasmée que par de braves généraux qui se sont bien montrés. Je sens, madame, que je peux vous déplaire, en ce moment ; mais je dis ce que je pense ; je ne crois pas que le gouvernement actuel dure longtemps, mais je crois qu’il y a trois grands obstacles au retour de la monarchie ; premièrement, Louis XVIII que l’on n’aime guère et qu’on n’estime point, mais encore je veux bien céder sur ce point ; secondement, Louis XVIII ne s’est jamais montré, et sa taille et sa tournure s’opposent à ce qu’il soit jamais guerrier ; troisièmement enfin, le clergé était trop riche et jouissait de trop grands avantages pour qu’on lui rende ce qu’il possédait, et si le Roi revenait demain sur le trône et qu’il voulût remettre les choses dans l’état où elles étaient avant la Révolution, après-demain les troubles recommenceraient.

Il s’arrêta ; puis, après un moment de réflexion, il reprit en disant :

— Je voudrais qu’on me permît de passer en Angleterre ; je serais charmé d’avoir une conversation d’une heure avec M. le comte d’Artois.

Il me fit ensuite plusieurs questions sur Monseigneur, sa position, sa façon de vivre. Je ne ferai pas ici mention de mes