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ouverts, un teint éblouissant, le pinceau de Mme Lebrun donne à l’ensemble de sa physionomie une expression de douceur qui captive encore aujourd’hui. Elle passait pour avoir beaucoup d’esprit. Il est probable que ce double charme fit supposer à M. le comte d’Artois qu’elle réussirait dans une sorte de mission secrète qu’il lui confia au mois de juin 1801 et dont l’objet n’était pas défini à ses propres yeux. Il s’agissait, avant tout, de savoir ce qui se passait en France, car on était alors en guerre avec l’Angleterre, et quelle coopération la cause, royaliste pouvait trouver auprès du gouvernement consulaire ou des personnages marquans du pays. C’était fort délicat, on le voit, et d’une responsabilité sérieuse pour la jeune ambassadrice. Mais on verra par ce récit que, sans le vouloir, pour ainsi dire, elle posa des questions graves, reçut les réponses qu’elle pouvait espérer, et que rarement une mission de ce genre fut accomplie avec plus de convenance et de dignité. Laissons la parole à Mme de Guiche ; la simplicité même du récit ne peut qu’ajouter à son intérêt et à son authenticité.


D’après une conversation très intéressante que j’eus à Londres, au mois d’avril 1801, avec un personnage révolutionnaire qui fit beaucoup de démarches pour me voir, je crus qu’il me serait possible d’être utile à la bonne cause et de servir par conséquent les intérêts des Princes, en faisant le voyage de Paris. Animée par cet espoir et devant, d’ailleurs, retourner à Pyrmont auprès de la Reine, je prétextai pour passer par la France le mal que m’avait fait la traversée de Cuxhaven et le désir que j’avais de consulter pour ma santé des médecins qui m’avaient toujours traitée depuis mon enfance. Mon projet vint à la connaissance de Mme Elliot, qui n’a cessé, depuis que dure la révolution, de rendre tous les services qui pouvaient dépendre d’elle. Sachant donc la volonté où j’étais de passer en France, elle me fit proposer de solliciter des passeports pour moi. Douze jours après, je reçus une lettre d’elle par laquelle j’étais rassurée sur mon arrivée à Calais. Elle me répondait de tout, pourvu que je voulusse aller loger chez Ducros, Au Lion d’Argent. En conséquence des instructions que j’avais reçues, je partis pour Douvres, et le dimanche 7 juin 1801, à neuf heures du matin, j’étais embarquée. Nous arrivâmes à Calais, le même jour, à midi et demi. Comme la guerre existait entre la France et l’Angleterre, on envoya de Calais un canot pour reconnaître si nous étions des passagers. Lorsqu’on s’en fut assuré, on me demanda où je comptais loger.