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Alexandre, a été un civilisateur ; c’est un conquérant, soit, mais un conquérant législateur. Il voulait conquérir ; mais conquérir au profit de la civilisation. La civilisation devait prendre une forme nouvelle, celle que lui avait donnée la Révolution française. La Révolution peut se définir : le principe de l’égalité des droits, avec l’inégalité des biens. Que voulut Napoléon ? Généraliser les résultats de la Révolution. En conquérant l’Europe, il n’avait pas seulement pour but d’étendre les conquêtes de la Révolution, mais encore de les sauver. Elle était menacée par le système de toute l’Europe. Il fallait que les deux formes de la civilisation française, celle de l’ancien régime ou celle de la Révolution, s’imposassent l’une ou l’autre : ou que la Révolution s’imposât à l’Europe, ou que l’Europe s’imposât à la Révolution. Or, réserver la France en changeant la face de l’Europe, voilà le problème que Napoléon eut à résoudre. Il n’appela pas à son aide, comme avait fait la Convention, l’insurrection et les clubs, mais ses armées et son Gode. Ce qu’il voulut ce fut le renversement de l’ancien régime, la Révolution continuée et étendue. Ces vues, hautes et fortes, quoiqu’un peu moqueuses, étaient les vues d’un philosophe : neuves alors, elles se séparaient à la fois de la légende populaire chantée par Béranger, et des haines violentes et passionnées des royalistes de la Restauration.

L’article sur Jean-Paul Richter semblait annoncer un pas en avant dans la voie de la philosophie. On serait tenté d’attendre un jugement d’un philosophe sur un philosophe, d’un psychologue sur le grand humoriste allemand : ce serait une erreur. En réalité, ce travail n’est qu’un article sur une traduction française des Pensées de Jean-Paul extraites de ses ouvrages. Ces pensées sont presque toutes sous forme de comparaisons et de métaphores : ce qui est pour Pierre Leroux l’occasion d’introduire ses idées sur ce qu’il appelle le style symbolique, que nous avons analysées plus haut. Jean-Paul serait, suivant Pierre Leroux, l’un des créateurs de cette forme littéraire. Il résume ainsi qu’il suit le talent et la manière de Jean-Paul : « C’est toujours une idée morale, ou une vue sur l’histoire de l’humanité, ou une observation délicate des mouvemens de l’âme rendus par une comparaison prise dans la nature physique ; c’est toujours l’abstrait sous la forme matérielle souvent ravissante. Et il y a un grand charme dans cette sorte de comparaison, qui nous fait passer, en un instant, d’un des deux mondes à l’autre. L’oreille et