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de tous les progrès faits depuis dans l’art de la typographie[1]. Pierre Leroux était donc destiné à devenir imprimeur, lorsque, dans l’imprimerie où il travaillait, il rencontra son ancien condisciple de Rennes, Dubois, qui lui proposa de fonder avec lui un nouveau journal, auquel fut donné pour titre le Globe. On dit que ce titre est dû à Pierre Leroux. Le Globe fut l’un des journaux les plus importans de la Restauration[2]. Ce fut un organe du libéralisme entendu dans le sens le plus large. Les hommes les plus éminens du siècle y ont collaboré. Dubois eut la haute direction du journal ; mais Pierre Leroux y a coopéré par plusieurs articles, signés seulement de deux lettres : L… X. Grâce à M. Barthélémy Saint-Hilaire, secrétaire de la rédaction, nous savons que ces lettres représentent la signature de Pierre Leroux. En 1831, le Globe passa entre les mains de Pierre Leroux seul et devint un organe du saint-simonisme. Lui-même fut un disciple passionné et enthousiaste de Saint-Simon, et il se donna tout entier à la famille du saint-simonisme. Il y gagna une vive et profonde influence qui rejaillit sur toute sa philosophie. Cependant, lorsque Enfantin se lança dans ses théories aventureuses sur le rôle futur de la femme, Pierre Leroux et plusieurs de ses amis, Jean Reynaud, Carnot, Charton, protestèrent et se séparèrent publiquement de la famille. Les archives du saint-simonisme nous ont conservé les détails de cette rupture. Dans une assemblée où Enfantin exposait ses idées nouvelles sur le rôle de la femme, Pierre Leroux se leva et dit : « Vous reprenez là une doctrine que vous avez déjà développée devant le collège, et qu’il a communément réprouvée. Je suis venu ici pour le déclarer : je me retire. » Enfantin essaya d’amadouer le jeune disciple en le comblant d’éloges : « Voilà l’homme (dit-il en montrant Pierre Leroux) qui représente le mieux la vertu telle qu’elle a été conçue jusqu’à présent. Et, vous le voyez, la vertu exclusive de cet homme ne peut pas comprendre ce qu’il y a de moral dans mes paroles. » Puis, comme il continuait l’exposition de sa théorie, Pierre Leroux reprit la parole pour renouveler ses protestations contre les théories morales d’Enfantin, dont il déclara ne plus reconnaître l’autorité[3].

  1. P. Leroux a publié plus tard, dans la Revue Indépendante, t. VI, p. 260, l’histoire et les détails de son invention.
  2. Voyez dans la Revue du 1er août 1879 notre article sur « le Globe » de la Restauration et Paul-François Dubois.
  3. Œuvres de Saint-Simon et d’Enfantin, t. IV, p. 159-176.