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plus sûr ? Aujourd’hui, qui destitue le patron ou l’association malhabile, l’industriel ignorant ou la société industrielle mal soigneuse ? La ruine. Dans le collectivisme, ce sera l’administration centrale. Cette sanction est moins certaine que l’autre. Aurez-vous du moins la sécurité absolue ? Non. Les naufrages, les catastrophes, les faillites atteindront les monopoles socialistes comme les monopoles capitalistes. Il y aura, comme on l’a bien montré, « des déficits et des dilapidations proportionnels à l’étendue même des administrations » et à leur empiétement progressif[1]. Les catastrophes changeront seulement de forme et d’allure : vous aurez des Panamas gouvernementaux ; et le dernier ne l’a-t-il pas déjà été en grande partie ? Les grèves mêmes ne seront pas à jamais écartées, mais se présenteront d’une autre manière, « affectant la forme de désordres et de révoltes publiques. » En un mot, vous aurez des luttes, des coalitions de travailleurs les uns contre les autres et contre les autorités qu’on aura établies pour veiller à cette tâche surhumaine : division du travail selon les aptitudes, répartition des produits selon les mérites et les besoins.

Fût-il réalisable, le collectivisme national serait une inconséquence. Si la terre appartient à tous, les Allemands n’ont pas plus le droit de détenir la terre d’Allemagne, quoique conquise par leurs pères, qu’un lord anglais son domaine familial : que diront les Lapons ou les Hottentots ? En réclamant la « nationalisation du sol, » on oublie que les habitans des pays pauvres, si éloignés soient-ils, ont le droit d’en demander l’internationalisation. Les collectivistes, eux aussi, restent des « monopoleurs » et des « accapareurs, » en attendant un internationalisme assez vaste pour embrasser les cinq parties du monde et pour égaliser les conditions dans ces cinq parties du monde.

Le pire des monopoles collectivistes, ce serait la réglementation de la pensée et de la production littéraire ou scientifique. Qui assurera, dans la société collectiviste, la satisfaction des besoins intellectuels, moraux, religieux ? Il faudra l’aveu de l’administration centrale pour être écrivain, artiste, savant, moraliste ; il faudra que le gouvernement se fasse l’éditeur des publications littéraires et philosophiques, y compris, encore une fois, celles où on fera la critique du gouvernement même, bien plus, la critique du collectivisme ! Le penseur sera réglementé

  1. H. Dépasse, Les Transformations sociales.