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D’après ce qui précède, on comprend que nos sacrifices ont dû être sensibles. Nous n’y insisterons pas : il est dur de perdre en un jour le travail de plusieurs années. Mais les avantages qui nous ont été concédés ont aussi leur importance. Si nous avons échoué dans notre politique africaine orientale, nous avons réussi un peu plus à l’Ouest. Le but principal que nous poursuivions dans la région du lac Tchad était d’assurer la continuité de nos possessions depuis l’Algérie jusqu’au Congo. Il y a là un empire d’une vaste étendue, dont toutes les parties ne sont pas, à beaucoup près, de même valeur, puisque le centre en est occupé par le Sahara, c’est-à-dire par la terre la plus stérile et la plus ingrate du monde. Enfin le Sahara, disait récemment un homme d’esprit, est un désert français ! C’est la part à laquelle nous réduisait lord Salisbury, avec l’ironie qui lui est propre, après notre arrangement de 1890. Nous avons cédé à nos voisins, disait-il, tout un lot de terres légères où le coq gaulois pourra gratter à son aise. Soit : mais le Sahara est comme une mer de sable, avec des îlots qu’on appelle des oasis et qui aident à le traverser, et tout autour, il y a des pays dont quelques-uns sont très fertiles et dont presque aucun n’est sans intérêt. Ce sont ces pays qui nous sont attribués par le nouvel arrangement, ainsi que les oasis qui servent à établir entre eux des communications. Dès aujourd’hui nous sommes les principaux riverains du Tchad. L’arrangement de 1890 nous avait déjà donné toute la partie nord, et celui du 18 juin de l’année dernière toute la rive orientale jusqu’au Chari, mais la rive seulement, sans aucun prolongement territorial vers l’Orient. Dans l’incertitude où elle était, comme nous, de ce que devait être l’avenir, l’Angleterre avait évité de nous ouvrir, même de très loin, même par une amorce, les voies qui conduisaient à la vallée du Nil. Donc, si nos possessions du nord et du sud du lac étaient alors reliées ensemble, c’était par un étroit couloir. Il n’en est plus de même aujourd’hui. L’Angleterre nous abandonne le Baghirmi, le Ouadaï, le Kanem, le Borkou, le Tibesti, c’est-à-dire d’immenses régions qui s’étendent jusqu’à la ligne de partage des eaux entre le Niger, le Congo et le Nil ; quelques-unes au moins sont des acquisitions précieuses en elles-mêmes, et elles le sont toutes par le fait de leur continuité. Nos voisins autour du lac Tchad sont, au sud, les Allemands, en vertu de l’arrangement que nous avons fait il y a quelques années avec eux, et, au sud-ouest, les Anglais, possesseurs du Bornou. L’avenir seul dira ce que valent au juste ces contrées encore insuffisamment connues. Il faudra tenir compte aussi des facultés colonisatrices des nations appelées à les mettre en