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Mémoires un véritable réquisitoire contre leur auteur. La vérité est qu’ils en sont un portrait assez fidèle, et que les juger c’est juger en même temps Chateaubriand et son œuvre. « En dedans et à côté de mon siècle, a-t-il écrit dans la Préface testamentaire, j’exerçais peut-être sur lui, sans le vouloir et sans le chercher, une triple influence religieuse, politique et littéraire. » Sans le vouloir et sans le chercher ? O poète, nous ne vous en croirons pas sur parole ; mais nous demanderons à vos Mémoires de nous éclairer sur ces trois aspects de votre œuvre.


III

La politique de Chateaubriand a mauvaise réputation ; et peut-être serait-il téméraire d’en essayer une réhabilitation, comme on l’a récemment tenté pour celle de Lamartine. J’avoue ne m’en sentir ni le courage, ni la compétence. Au reste, pour porter un jugement définitif sur cette partie de l’œuvre de René, il serait prudent de ne pas s’en tenir au seul texte des Mémoires d’Outre-Tombe et d’attendre les notes et documens que M. Biré s’est comme engagé à nous fournir. Que s’il faut entièrement souscrire aux sévérités de Sainte-Beuve, je suis de ceux qui s’en consoleront aisément.

Car la vraie gloire de Chateaubriand est ailleurs ; et quand il serait prouvé qu’il n’a eu aucune des qualités de l’homme politique, il n’en resterait pas moins l’un des plus grands poètes de notre siècle, et le premier représentant complet du romantisme français. Il n’est aucun des traits qui caractérisent dans l’histoire littéraire les Lamartine et les Hugo, les George Sand et les Balzac, les Thierry et les Michelet qui, déjà, ne se retrouve en lui ; et, sur ce point encore, les Mémoires d’Outre-Tombe sont singulièrement instructifs. — On a proposé bien des définitions diverses du romantisme : je ne sais si toutes ne se ramèneraient pas à celle-ci, qu’il a été, dans l’ordre littéraire, un réveil des facultés poétiques. Or, c’est en cela surtout que Chateaubriand a été, pour deux générations au moins d’écrivains, un initiateur et un maître. Sans doute, il y avait eu avant lui et Rousseau et Bernardin de Saint-Pierre ; et je ne cherche pas à méconnaître tout ce que les romantiques, à commencer par Chateaubriand lui-même, ont dû à ces deux devanciers. Mais comme la prose de Rousseau est