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de premier ordre. D’innombrables pagodes de toute beauté renferment des peintures sur or et sur bois qui valent des van Dael ou des Hondekœter. Les palais impériaux anciens et modernes, les temples qui comptent dix siècles d’existence, ou qui renferment mille idoles, les sanctuaires suspendus au rocher et soutenus seulement par de formidables madriers sont enveloppés d’une vie intense, quand, le soir, dans les rues illuminées aux lanternes, les boutiques présentent leurs étalages multicolores à la foule pimpante et gaie. De là, promenades à travers des villages coquets jusqu’au lac Biwa, où l’on voit un sapin qui aurait deux mille ans d’existence ; il est soutenu par des béquilles, et le gouvernement, respectueux des souvenirs, lui consacrerait, dit-on, 800 yens d’engrais par an, soit 2 000 francs.

De Kioto, je reviens à Kobé pour prendre mes logemens sur l’Empress of China arrivant de Hong-Kong, et, en route pour l’Amérique. C’est la grande traversée jusqu’à Vancouver : 2 000 lieues à franchir en 13 fois 24 heures. Des Chinois en robes blanches nous servent à table, les passagers sont nombreux : Anglais, Allemands, Américains, Australiens, Japonais ; combien il est rare, de cet autre côté du globe, d’entendre sonner un mot français !

Les deux premiers jours, température délicieuse, puis le thermomètre s’abaisse peu à peu de 35 degrés jusqu’à 0. Nous naviguons, au milieu du brouillard, à quelques centaines de milles du Kamtchatka, tout près de la mer de Behring. L’événement du voyage est de franchir le 180e degré de longitude. Nous voilà juste aux antipodes : il faut doubler une journée pour se retrouver au courant des calculs de l’heure, et nous redoublons le jeudi. Cela fait une bien longue semaine, dans la monotonie d’une navigation à travers une mer déserte, que ces sept journées entre un dimanche et l’autre. Le 30 août, nous sommes en vue de la terre d’Amérique ; dans la soirée, on stoppe pour débarquer les voyageurs qui se rendent en Californie et, la nuit, nous remontons jusqu’à Vancouver. La ville est d’aspect tout neuf avec ses trottoirs en bois, ses maisons en planches, et quelques banques solidement construites qui drainent l’or ramassé pas bien loin, dans les plaines glacées du Klon-dyke ou de l’Alaska.

Le chemin de fer du Canadian Pacific nous transporte à travers les Montagnes-Rocheuses jusqu’au pied des glaciers, dont la