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poignée d’hommes déterminés et bien armés est à peu près sans limites.

Les drames sanglans dont, au dire de la presse, le palais impérial aurait été le théâtre, me semblent aussi singulièrement exagérés. L’Empereur est sans vigueur, et l’Impératrice régente, au contraire, est femme de tête et d’énergie. En cédant, lors de sa majorité, la place à son neveu, qui est en même temps son fils adoptif, elle ne conservait pas moins, comme chef de la famille impériale, des droits dont elle a jugé opportun de reprendre l’exercice. Qu’était-il arrivé ? Des conseillers de l’Empereur pesaient d’une façon imprudente sur son faible esprit pour l’orienter vers une politique effrénée de réformes et d’aventures ; alors, sa mère, restée légalement dépositaire de l’autorité dans la hiérarchie familiale, base essentielle de toute société en Chine, saisit les rênes du gouvernement pour sauver la dynastie compromise. Ainsi s’explique que, dans une audience récente, l’Impératrice occupât le trône tandis que l’Empereur était modestement assis à un rang inférieur. Au point de vue chinois, ce n’était pas à proprement parler une humiliation, mais une combinaison de famille qui ne devait pas contrarier l’âme chinoise de l’Empereur. En y regardant de plus près, peut-être trouverait-on, dans cet événement, le triomphe de telle politique européenne sur sa rivale ; peut-être aussi la faveur dont l’Impératrice n’a cessé de couvrir Li-Hung-Chang a-t-elle dû se tempérer devant les exigences de telle autre puissance ;… tout cela constitue le jeu habituel des intrigues de sérail, qu’il s’agisse d’Orient ou d’Extrême-Orient. Mais le fait primordial reste intact ; et rien, je crois, n’empêchera l’éclosion de l’ère nouvelle qui s’est ouverte : la Chine, dont la guerre sino-japonaise a dévoilé au monde l’incurable faiblesse, de gré ou de force, ne peut plus rester dans l’immobilité où elle était figée depuis des siècles. La locomotive a sifflé sur son sol, elle en fera très vite la conquête et, sur sa route, les mines s’ouvriront, les besoins nouveaux se feront sentir, l’industrie, le commerce, la finance s’implanteront de jour en jour davantage en ce terrain tout préparé pour les recevoir.

Dieu veuille seulement que les nations arrivent à s’entendre sur cette œuvre de civilisation et de progrès ! — Y parviendra-t-on par des moyens pacifiques ? J’en doute un peu. Qui sait cependant si de la conférence de désarmement proposée par l’Empereur de Russie ne sortira pas l’idée d’un autre congrès. On y définirait