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particulièrement pittoresques de la vie d’affaires à Pékin. Le collège des ministres vous fait prévenir quelques jours d’avance, par un beau message rouge où sont inscrits des caractères chinois, que la conférence est fixée à telle heure de telle lune, et l’on commande en conséquence les chaises à porteurs qui, sous peine de manquer à l’étiquette, doivent être vertes et portées chacune par quatre hommes. Des palefreniers à cheval précèdent et suivent l’enfilade de nos chaises ; l’un d’eux porte, dans un grand portefeuille, nos cartes de visite chinoises, longues de 25 centimètres, imprimées en gros caractères sur un papier rouge vif. Quelques centaines de mètres avant d’arriver, il s’élance au galop pour nous annoncer. On franchit la première porte du Tsung-li-Yamen, pour descendre des chaises, et enfiler une série de corridors brisés aboutissant à une salle assez grande, ouverte sur le jardin. Une vaste table à tapis rouge, entourée de fauteuils respectables, de forme d’ailleurs tout européenne, occupe le centre de la pièce ; aux murs de la salle, des inscriptions ou des images déroulées ; au plafond, des lanternes chinoises ; dans les coins, des vases de porcelaine médiocre à moitié enchâssés dans leurs écrins. « Chin-chin » des secrétaires qui nous saluent avec leurs mains jointes, échange de politesses avec Leurs Excellences, et, avant d’aborder les affaires, on pose les questions les plus inattendues. « Etes-vous riche ? » me demande-t-on. — « Combien vous paye-t-on ? » — « Quel âge avez-vous ? » C’est de politesse courante. Cependant je tâche d’entamer les choses sérieuses, ce qui est, à vrai dire, une infraction aux bienséances, car il est d’usage, dans une première entrevue, de n’aborder que des banalités ; mais, franchement, je suis pressé. La conversation se traîne, lente et pénible, chaque phrase exigeant de part et d’autre une pause pour que l’interprète puisse traduire. Entre temps, on fume une cigarette en dégustant une tasse de thé, tandis que les Chinois tirent de leur pipe, chaque fois rallumée, cinq ou six bouffées. Que l’on garde ou non son chapeau sur la tête, cela n’a pas d’importance ; c’est même, du côté chinois, plutôt une marque d’égards de converser la tête couverte. Et l’échange de vues va son train, tantôt avec des diversions voulues, tantôt avec des incompréhensions réelles ou feintes, des haussemens d’épaules ou des rires déplacés, qui tournent à l’agacement et font perdre patience à plus d’un diplomate européen.

L’échange des signatures que j’étais venu chercher eut lieu