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relie les Indes anglaises à Shang-Haï. La Russie, nous l’avons vu, ne s’est pas non plus oubliée dans le Nord. De Pékin àlIan-Kow, sur le Yang-tsé, un chemin de fer concédé aux Belges se construit en ce moment, à l’aide de capitaux fournis par un syndicat franco-belge, et un groupe anglo-italien se réserve d’exploiter les régions situées à l’Ouest de cette ligne. Enfin, de Han-Kow à Canton, un syndicat américain projette de compléter ce réseau de 3 000 kilomètres qui sera le Paris-Lyon-Méditerranée de la Chine.

Est-ce tout ? Non : il y a l’Italie qui, pour s’assurer un territoire, presse la Chine ; il y a l’Autriche ; il y a les États-Unis et d’autres encore. Dans cette débauche d’appétits ouverts, qui donc a fait vœu de désintéressement ?

Il suffirait d’un incident pour que ces prises de possession, hypothétiques ou réelles, trouvassent d’un jour à l’autre l’occasion de s’affirmer. A plus forte raison en serait-il ainsi dans le cas d’une catastrophe ; par exemple, s’il survenait une révolution intérieure en Chine. Le fait est vraisemblable, car la dynastie actuellement régnante n’appartient pas à la Chine et se voit en butte à bien des suspicions de la part des vrais Chinois, tandis que des rivalités de famille la battent sourdement en brèche. Nous avons appris par des événemens récens qu’elle est entre des mains débiles ; sa légitimité même est contestable, et une intrigue de palais peut l’ébranler jusque dans sa base. Une autre éventualité est à prévoir, en dépit des bonnes intentions du gouvernement impérial : quelque massacre de missionnaires pratiqué dans des proportions telles que plusieurs nations à la fois se verraient dans le cas de demander une éclatante réparation. La chose est possible, probable même, car les missionnaires, depuis bien des mois, constatent de toutes parts des symptômes inquiétans. Il est certain que la classe des mandarins et des lettrés, jadis toute-puissante en Chine, se sent aujourd’hui débordée par les idées nouvelles, et il serait si bon de se venger sur ces « diables étrangers ! » Les missionnaires ne semblent-ils pas les plus faciles à atteindre, disséminés comme ils le sont un peu partout dans l’Empire ? — Il y aurait un autre coup à redouter : des démonstrations hostiles contre les légations à Pékin, dans la capitale, au centre même de toutes les intrigues. Ce serait un appel aux armes pour toutes les nations, et quelle belle occasion de représailles exemplaires ! Mais je n’insiste pas, car cette solution, si