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les Chinois se sont risqués dans cette invention des barbares ; ils la trouvent à leur goût maintenant et encombrent les trains qui ne suffisent déjà plus au trafic. Aussi la cause des chemins de fer en Chine peut-elle être considérée comme gagnée ; nul doute que d’ici dix ans l’empire n’en soit sillonné. S’il se produit encore des révoltes contre les profanations des tombes, — et il y en aura, — c’est qu’elles auront été tolérées par les autorités locales. Car celles-ci sont en mesure, par l’évidence des faits, de mettre à la raison l’ignorance ou le fanatisme. Cette victoire morale de la civilisation sera peut-être le plus grand moteur de l’évolution que la Chine va immanquablement subir.

Je signale au passage le costume bizarre des chefs de gare, qui, avec leur chapeau de paille à larges ailes doublées de bleu clair et noué sous le menton par de grands nœuds de même couleur semblent, dans leurs robes bleues ou blanches tombant jusqu’aux talons, de grandes demoiselles en partie de campagne.

On vient sans doute de crier en chinois : « Pékin, tout le monde descend ; » car le train s’est arrêté au milieu des champs. En y regardant de plus près, on voit les fondations d’une maison : c’est la future gare, puis il y a un certain mouvement de charrettes et de palanquins derrière une légère palissade. Un homme coiffé d’un chapeau de paille en forme d’abat-jour, avec une robe bleue et un vaste gilet rouge, s’approche de moi et me remet un mot du ministre de Belgique. C’est le mafou ou palefrenier qui doit précéder à cheval mon palanquin. Je m’y introduis, et hop ! les quatre porteurs m’enlèvent, marchant d’un bon pas cadencé ; quatre autres suivent et, de temps en temps, se relayent, s’avertissant de petits cris gutturaux pour garder la mesure. Parfois l’homme qui marche à ma hauteur me fait signe de me tenir plus en avant ou plus à droite, parce que je dérange l’équilibre du transport. Au bout d’une demi-heure de route, j’aperçois les murs de Pékin. — Jéricho, Babylone, Ninive devaient avoir des murs semblables ; c’est très imposant. Les portes que l’on franchit sont doubles et surmontées chacune de forts aux toits retroussés. Il y a un certain encombrement de charrettes, de chameaux, de palanquins, d’ânes et de piétons, puis on se retrouve de nouveau à peu près dans la campagne ; cependant il se révèle un dessin d’ensemble et, à droite comme à gauche, se profilent les murailles de deux grands temples. Après avoir franchi cette vaste esplanade, nous passons maintenant entre deux rangées de boutiques qui