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légers, le casque colonial militairement porté, et ayant cet air de conquérans du monde, contraste frappant avec les tournures félines des Chinois qu’ils tiennent en respect !

Quittant les tropiques et remontant vers le Nord, le 25 mai au matin, nous stoppions à l’embouchure du Yang-tsé, aussi large qu’un bras de mer. On passe sur un petit vapeur qui fait le service du fleuve. Peu d’intérêt, des bords plats et tristes ; nous croisons des jonques chinoises aux formes antiques et portant sur la proue de gros yeux peints qui leur donnent un air de bêtes. Au loin, après plusieurs tournans, se dessine une grande ville : c’est Shang-Haï, dont nous longeons bientôt les quais, bordés de vastes maisons, ornés de pelouses et de jardins. Aspect des plus confortables ; mais Shang-Haï marque la dernière étape où l’on se sente encore en pays civilisé ; après c’est l’abominable pays chinois.

Nous embarquons sur le Tungchow, de dimensions bien plus réduites que les grands navires des Messageries ; la mer est triste, jaune, d’aspect maussade ; le brouillard nous fait marcher lentement ; et les bruits de la sirène, alternant avec la voix monotone du matelot qui jette la sonde, finissent par devenir énervans. Mais tout passe ! et nous voici, au bout de quatre jours, en rade de Chee-foo. On ne voit que navires de guerre : toute la flotte anglaise est là et les saluts s’échangent justement avec le prince Henri de Prusse qui revient de sa visite à Pékin. C’était l’événement du jour que sa réception par l’Empereur, et par l’Impératrice mère, à qui le prince avait galamment baisé la main. Il avait été traité presque en souverain, d’égal à égal par l’Empereur, fait nouveau, de nature à frapper grandement l’imagination des Européens eux-mêmes, qui, bon gré mal gré, se laissent impressionner par le mystérieux prestige dont s’entoure la cour de Pékin. Aussi l’Allemagne était-elle pour le moment fort en vue. Mais, en Chine, les politesses s’oublient vite ; les coups de canon seuls ont une portée sérieuse.

L’entrée du golfe de Pe-tchi-li, où nous arrivons bientôt, s’annonce au loin par la vue des montagnes qui encadrent Port-Arthur. Ce point stratégique, naguère enlevé par les Japonais, occupé maintenant par les Russes, qui y entassent des troupes, fait front, en sentinelle avancée, aux Anglais, tout récemment installés à Weï-haï-weï, près de Chee-foo. Voilà la route de Pékin bien surveillée du côté de la mer par des gens qui semblent prendre l’affaire tout à fait au sérieux. Elle laisse d’ailleurs