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avait encore un grand prestige ; n’avait-elle pas ébranlé les trônes en 1848 ? Elle inspirait toujours une sainte terreur aux gouvernemens. M. de Cavour croyait à cette force irrésistible, et l’avait fait entrer dans ses combinaisons. Le premier, avec Victor-Emmanuel, il s’était compromis et engagé avec elle, et c’est l’ascendant qu’il exerçait sur l’Empereur et son cousin qui les avait déterminés à conférer ainsi avec le chef de l’insurrection hongroise.


XXII. — L’EMPEREUR EN Italie

Le 12 mai, l’Empereur débarqua à Gênes. Il y fut reçu comme un libérateur. Il l’était en effet, car sans lui, à coup sûr, l’Italie, malgré « son étoile, » n’eût pas accompli ses destinées avec une telle rapidité et une telle plénitude.

Comme nos armées s’ébranlaient, la mort frappa le prince de Metternich, qui disparut ainsi à quatre-vingt-quatre ans, à l’instant même où s’écroulait son œuvre de compression.

Victor-Emmanuel était venu à Gênes saluer l’Empereur. M. de Cavour le rejoignit au quartier général, à Alexandrie. Il accourait moins pour féliciter Napoléon III et le remercier que pour lui présenter de scabreuses observations. La nomination du prince Napoléon au commandement du 5e corps appelé à opérer en Toscane sur le flanc des Autrichiens l’avait mis aux champs. Il y voyait l’arrière-pensée d’une restauration du royaume d’Étrurie au profit des Bonaparte. La suspicion était blessante. Loin de s’en offusquer, l’Empereur s’efforça de rassurer le ministre. Pour témoigner de son désintéressement, il lui répéta ce que le prince Napoléon avait dit à Kossuth, lorsque celui-ci faisait miroiter devant ses yeux la couronne de Saint-Etienne. Mais M. de Cavour était difficile à convaincre, il savait ce que valent les protestations. Il lui fallait une garantie. Il demanda que le 5e corps fût rattaché à l’armée piémontaise ; ce n’était qu’à cette condition qu’il rentrerait à Turin content et rassuré. L’Empereur, comme toujours, céda ; il donna le gage que l’impertinence de M. de Cavour réclamait de sa loyauté. En débarquant à Livourne, le prince Napoléon, dans une proclamation adressée aux Toscans, déclara « que l’unique ambition de l’Empereur était de faire triompher la cause sacrée de l’affranchissement d’un peuple, sans se laisser jamais influencer par des intérêts de famille. »