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« Vous voudriez, à ce que m’a raconté le Prince, que j’étende le théâtre de la guerre du Pô au Danube et à la Theiss, et que par un manifeste la Hongrie, dont l’indépendance nationale serait proclamée, fût invitée à participer à la guerre à titre d’alliée ? Je ne verrais pas d’inconvénient à une proclamation, si je pouvais mettre une armée à votre disposition. La chose n’est pas sans précédent dans l’histoire de ma maison. Vous connaissez la proclamation que mon oncle a adressée à la nation hongroise en 1809. Cette proclamation, vous ne l’ignorez pas, n’a pas eu le don de soulever votre pays ; mais la situation, je le reconnais, s’est modifiée depuis l’insurrection de 1849. Toutefois il y a de grands obstacles à l’envoi de troupes, et le plus grand, c’est l’Angleterre. Le ministère tory se cramponne aux traités de 1815 ; déjà mal disposé au sujet de la délivrance de l’Italie, il ne permettrait pas que l’Autriche fût rayée du nombre des grandes puissances. Je ne puis pas risquer de me mettre l’Angleterre à dos.

— Je prends sur moi, répondit Kossuth, qui semblait ne douter de rien, de renverser le ministère tory ; » et il développa longuement les nombreux moyens dont il disposait en Angleterre pour agir sur l’opinion publique, très sympathique à la cause hongroise, et provoquer, avec lord Palmerston et quelques-uns de ses amis du Parlement, et en organisant des meetings, un changement de ministère. Il était, cela est certain, lié avec les chefs du parti libéral ; il avait des attaches dans les journaux, mais il s’exagérait la puissance de son action[1].

L’Empereur, sans rien promettre, congédia Kossuth en disant : « Ce que vous venez de me dire des moyens dont vous disposez pour amener un changement de ministère est très intéressant et d’une grande importance. La neutralité de l’Angleterre assurée après la chute des tories, vous aurez écarté le principal obstacle à la réalisation de vos vœux. »

Tout ce long entretien, avec de nombreux incidens que j’ai cru devoir omettre, se trouve relaté dans les Souvenirs et les Écrits d’exil, période d’Italie. Pour apprécier cette scabreuse entrevue sans trop s’en émouvoir, il importe de ne pas oublier que, le 4 mai, la guerre était déclarée, et que, peu de jours après, l’Empereur partait pour l’Italie. Il faut dire aussi qu’en 1859, la révolution

  1. On peut voir par une dépêche de M. de Persigny que lord Palmerston le renia et déplora les divulgations qu’il se permit dans la presse anglaise sur ses relations avec Napoléon III.