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l’Angleterre se chargerait de neutraliser la Baltique et la mer du Nord, se voyait aujourd’hui contraint d’informer les cours allemandes que, si elles participaient à un conflit contre la France, le gouvernement britannique, en raison de sa neutralité, se verrait dans l’impossibilité de protéger leur commerce maritime. Tels étaient les reviremens imprévus que la sommation autrichienne avait brusquement opérés dans l’opinion !

L’Empereur pouvait donc, avec une sécurité relative, prendre le commandement de ses armées ; sans se préoccuper de l’Angleterre, sans trop s’inquiéter de l’Allemagne, le cabinet de Berlin paraissant vouloir régler son attitude d’après celle du cabinet anglais.

Il partit de Paris le 10 mai au soir. Le trajet des Tuileries à la gare de Lyon fut une longue ovation, empreinte, disent les témoins de ces scènes enthousiastes, moins d’un vrai patriotisme que d’un caractère révolutionnaire. On sentait que la campagne qui allait s’ouvrir était inspirée par l’esprit cosmopolite. Ce n’était pas une guerre de frontières ni de sécurité : c’était, suivant la distinction que l’on faisait sous l’ancienne monarchie, une « guerre de magnificence. »


XXI. — L’EMPEREUR ET KOSSUTH

Les relations diplomatiques étaient rompues entre la France et l’Autriche, et l’émigration hongroise ne savait pas encore à quel titre et dans quelle mesure elle participerait aux événemens. Le gouvernement impérial évitait de s’expliquer. Il ne restait aux réfugiés hongrois qu’une seule chance de voir leur cause associée, drapeau levé, à la cause italienne : c’était de faire venir Kossuth à Paris, et d’obtenir pour lui, par l’entremise du prince Napoléon, une audience de l’Empereur. Mais Napoléon III consentirait-il à recevoir le collaborateur de Mazzini et à s’engager avec lui ? Rien n’était moins vraisemblable.

Arrivé à Paris le 4 mai, sous le nom de George Brown[1], Kossuth fut aussitôt introduit chez le prince Napoléon par Ladislas Teleki et le général Klapka. Le Prince manifesta ses sympathies pour la Hongrie et demanda à son interlocuteur de s’expliquer afin de lui permettre de faire connaître à l’Empereur

  1. La police avait reçu l’ordre d’ignorer sa présence à Paris. « Toutes les difficultés, dit Kossuth, furent écartées de ma route. »