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devenait populaire ; les passions gauloises s’étaient soudainement réveillées. « Nous sommes une drôle de nation, disait Mérimée à son ami Panizzi ; je vous écrivais, il y a une quinzaine de jours, qu’il n’y avait en France qu’un seul homme qui désirait la guerre et je crois vous avoir dit la vérité. Aujourd’hui, tenez le contraire pour vrai. L’instinct gaulois s’est réveillé : c’est maintenant un enthousiasme qui a son côté magnifique et aussi son côté effrayant. Le peuple accepte la guerre avec joie ; il est plein de confiance et d’entrain. Quant aux soldats, ils partent comme pour le bal. Les banquiers et « les beaux messieurs » déplorent toujours le funeste entraînement, mais la masse est pour la guerre. »

« Il faut avant tout, avait dit l’Empereur à ses ministres, dans sa note du mois de décembre 1858, qu’une guerre contre l’Autriche soit juste et sanctionnée par l’opinion. » Fidèle à ce programme, il tirait aujourd’hui l’épée, provoqué, après avoir épuisé tous les moyens de conciliation, pour une grande cause qui, depuis cinquante ans, intéressait la France et s’imposait à la sollicitude de tous ses gouvernemens. L’Autriche n’avait-elle pas méconnu les conseils de tous les cabinets, et, en persistant à opprimer l’Italie, ne jetait-elle pas un outrageant défi à la civilisation, au progrès, aux principes des temps modernes ? C’étaient là de grands mots, fallacieux, décevans, mais c’est avec des phrases redondantes qu’on crée souvent l’enthousiasme chez nous. En relisant les discours, les manifestes, les écrits qui, depuis cinquante ans, ont servi de préambules aux guerres ou aux révolutions, on est tenté de se demander si la rhétorique n’est pas la pire ennemie de la France ?

L’Autriche ne tarda pas à reconnaître sa faute. L’opinion, qui lui avait jusqu’alors été plutôt favorable, se retourna contre elle partout en Europe, sauf en Allemagne ; on eût dit une saute de vent. Non seulement elle s’aliénait tous les cabinets, mais, chose infiniment plus grave, n’étant pas attaquée, elle se privait du droit de réclamer le secours de la Confédération germanique. Lord Derby qualifia sa conduite de criminelle. La presse anglaise la prit à partie. « Tant que l’Autriche, disait le Herald, organe du ministère, a paru disposée à agir avec sagesse et modération, elle a trouvé des sympathies ; maintenant qu’elle a tiré l’épée et jeté le fourreau, elle ne sera pas surprise de voir des sentimens tout différens animer les gouvernemens et les peuples. » — « Puisque l’Autriche a déclaré la guerre, disait à son tour le journal de