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Szarvady observa qu’il ne demandait pas de traité, mais simplement une lettre de Napoléon III.

« Si j’étais ministre de l’Empereur, répliqua Cavour, j’hésiterais peut-être à lui donner le conseil d’écrire à Kossuth alors que Hübner est encore accrédité à Paris. C’est une chose sérieuse. Ma position, d’ailleurs, n’est pas moins délicate. Kossuth est en relations intimes avec Mazzini, notre adversaire implacable, il est même le collaborateur de son journal l’Italia del Popolo, et, si Mazzini est notre adversaire politique, il est l’ennemi acharné de l’Empereur ; car, sans se cacher, comme s’il cédait à une monomanie, tous les trois mois il lui dépêche des assassins. Que dirait-il, si je me permettais de lui recommander l’ami de Mazzini ? C’est très délicat. Que demande en somme Kossuth ? Veut-il que nous envoyions une armée en Hongrie ? Il faudrait pour cela que nous fussions déjà à Vienne. L’envoi de cinquante mille hommes à Fiume demanderait d’ailleurs des mois. Reste même à savoir si l’Angleterre le tolérerait ; nous ne sommes pas sûrs d’elle. Entendez-vous avec les Roumains ; nous vous donnerons des armes, cent mille fusils, si c’est nécessaire, et, par-dessus le marché, des subsides.

— Nous ne demandons pas cinquante mille hommes, répliqua Szarvady ; dix mille hommes nous suffiraient. Si nous tenons à l’envoi d’une armée, c’est à titre de garantie, pour n’être pas exploités en vue d’une diversion. Nous voulons que la solidarité de la cause italienne et de la cause hongroise soit bien hautement établie. »

M. de Cavour ne s’y laissa pas prendre ; il éluda la réponse en émettant des doutes sur les sympathies de la Croatie. Les Croates l’inquiétaient. « Comment ferez-vous pour traverser les Confins militaires ? Tâchez, avant tout, de vous assurer la bienveillance de la Russie, car, cette fois, vous ne pourrez pas, comme en 1849, compter sur les Turcs ; ils sont avec les Autrichiens. Mais prenez garde ! le Russe est comme le Grec ; on ne sait jamais ce qu’il pense ! »

Avant de congédier Szarvady, le ministre observa qu’il y aurait grand inconvénient à parler de tout cela à l’Empereur, « ce qui ne l’empêcha pas, dit Kossuth avec une pointe d’aigreur, de courir aux Tuileries et de tout lui répéter, ainsi qu’au prince Napoléon. »

M. de Cavour était renseigné ; il savait que Kossuth, malgré son intimité avec Mazzini, était prêt à marcher avec lui ; s’il avait