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duchesse de Bourgogne l’aurait haïe d’une manière si atroce que ses traits s’altéraient rien qu’en la regardant. Comme en bien des circonstances, Madame nous paraît avoir poussé les choses au noir, car la duchesse de Bourgogne n’était guère capable de haine. Mais il est certain qu’elle avait peu de goût pour cette grosse et rude Allemande, et qu’elle se moquait d’elle assez volontiers. Il y eut même à ce sujet entre les deux princesses une explication. Madame lui ayant demandé assez vertement pourquoi elle lui en voulait : « elle devint rouge comme le feu et toute décontenancée : — Vous prenés ma timidité pour aversion, dit-elle. — Et pourquoy, répondis-je, seriez-vous timide avec moy qui n’ay d’autre intention que de vous honorer et approuver ? — Ne parlons plus du passé, dit-elle ; j’espère que vous serez dorénavant plus contente[1]. » Et les choses marchèrent mieux depuis lors. Madame, qui était brusque mais pas méchante, ne put se retenir de pleurer quand la duchesse de Bourgogne fut en danger de mort.

Elle n’était pas exempte de caprices. Spanheim[2], l’envoyé de Brandebourg, assure qu’elle détestait sa dame d’honneur, la vieille duchesse du Lude qui paraît cependant avoir été une bien inoffensive personne, sans cesse tourmentée de la goutte et peu gênante. Mme Desnoyers, dans ses Lettres galantes, dit à peu près la même chose, et ajoute comme explication que « sa vigilance l’avoit un peu gâtée dans l’esprit de la jeune princesse. Il y a quelque temps, que Mme du Lude l’ayant priée de vouloir bien faire bon accueil au nouvel évoque de Metz qui est son parent, lorsque le prélat entra dans la chambre de Mme la duchesse de Bourgogne, cette princesse lui chanta :


Faites décrotter vos souliers,
Monsieur l’abbé.


« Et lorsque sa dame d’honneur s’en plaignit, elle lui répondit qu’on ne pouvoit pas faire un accueil plus gracieux à un homme que de le recevoir en chantant[3]. »

Elle avait aussi ses souffre-douleurs, entre autres la princesse d’Harcourt, l’amie de Mme de Maintenon, que Saint-Simon nous peint sous de si noires couleurs, et qu’on appelait princhipionnette pour railler ses prétentions à la princerie. La duchesse de

  1. Correspondance de Madame, trad. Jæglé, t. II, p. 17.
  2. Relation de la Cour de France, par Ezéchiel Spanheim, p. 351.
  3. Lettres historiques et galantes, t. I, p. 308.