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attachemens. Rien ne permet de mettre en doute la sincérité des sentimens qu’elle portait à Louis XIV. Il y a quelque chose de touchant dans les soins dont elle entourait les dernières années du vieux Roi, dans la peine qu’elle prenait pour le divertir à ses heures moroses, dans le sacrifice qu’elle savait lui faire de ses plaisirs. Lorsqu’elle n’avait pas eu ce courage, lorsque, pour se rendre à quelque fête, elle avait manqué au souper royal, ce qui « jetait un nuage de plus de sérieux et de silence sur toute la personne du Roi », elle ajustait du moins les choses de manière à venir le lendemain l’embrasser à son réveil et l’amuser du récit de la fête. Même sollicitude attentive pour Mme de Maintenon. « Notre chère princesse a dîné avec moi, écrit celle-ci au lendemain d’une journée passée dans son lit, et me rend les soins d’une bonne fille pour une mère qu’on aime tendrement[1]. »

On connaît, toujours par Saint-Simon, les familiarités de sa manière d’être avec eux « en public sérieuse, mesurée, respectueuse avec le Roi, et en timide bienséance avec Mme de Maintenon… en particulier, causante, sautante, voltigeante autour d’eux, tantôt perchée sur le bras du fauteuil de l’un ou de l’autre, tantôt se jouant sur leurs genoux ; elle leur sautoit au col, les embrassoit, les baisoit, les caressoit, les chiffonnoit, leur tenoit le dessous du menton, les tourmentoit, fouilloit leurs tables, leurs papiers et leurs lettres, les décachetoit, les lisoit quelquefois malgré eux, selon qu’elle les voyoit en humeur d’en rire, et parloit quelquefois dessus[2]. » Ces indiscrétions la conduisaient de temps à autre à des découvertes qui ne lui étaient pas toujours agréables ; ainsi le jour qu’elle trouva, sur le bureau de Mme de Maintenon, une lettre de la princesse d’Espinoy où celle-ci rendait compte lieu par lieu, heure par heure de l’emploi du temps de la duchesse de Bourgogne pendant les cinq derniers jours, et où il était question de manèges et d’imprudences, ce qui donna occasion à Mme de Maintenon de lui adresser « une forte vespérie[3]. » Parfois aussi ce furetage lui servait à favoriser ses amis ou à prévenir des mesures dont ils auraient eu à se plaindre. C’est ainsi qu’ayant découvert une promotion de maréchaux, dans laquelle Tessé n’était pas compris, elle fondit en

  1. Mme de Maintenon d’après sa correspondance authentique, par M. Geffroy, t. II, p. 31.
  2. Saint-Simon, édition Chéruel de 1857, t. X, p. 85.
  3. Saint-Simon, édition Chéruel de 1857, t. V, p. 429.