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pas étaient assises ou debout, suivant leur rang, sauf Mme d’Heudicourt « qui étoit près du Roi sur un petit siège tout bas et presque à raz-terre parce qu’elle ne pouvoit se tenir debout sur ses vieilles et hautes jambes[1] ; et Mme de Maintenon qui avait un fauteuil au chevet du lit. » Saint-Simon ne peut prendre son parti de ce fauteuil que l’état de santé de Mme de Maintenon suffisait cependant à excuser. Sa convalescence, à elle aussi, fut assez lente, et, pendant quelque temps, elle dut mener une vie très retirée, ne sortant point de son appartement. La duchesse de Bourgogne, que les longs repas de Cour fatiguaient, venait souvent dîner avec elle, et toutes deux prenaient leur quinquina ensemble[2].

Des grossesses fréquentes, des couches laborieuses, altérèrent souvent aussi la santé de la duchesse de Bourgogne. Mais chaque fois son énergie et sa vitalité triomphaient de la délicatesse de son tempérament. Jamais elle ne parut à la Cour avec plus d’éclat qu’après la naissance de son premier enfant, le duc de Bretagne, c’est-à-dire au mois de juillet 1704. Nous reviendrons sur cette naissance et sur les fêtes qui furent données à cette occasion. Mais nous regrettons de ne pas avoir le pinceau qu’il faudrait pour la peindre à cette époque de sa vie, dans tout l’éclat de sa vingtième année, fortifiée et embellie par cette maternité première. Adressons-nous plutôt au maître peintre, à Saint-Simon, dont on nous en voudrait de ne pas reproduire ici le portrait si connu. La vigueur de la touche, qui n’hésite pas à accuser les défauts de la figure, met par-là même dans une lumière plus vive ce charme suprême qui s’exhalait d’elle et auquel on ne résistait pas.

« Régulièrement laide, les joues pendantes, le front trop avancé, un nez qui ne disoit rien, de grosses lèvres mordantes, des cheveux et des sourcils châtain brun fort bien plantés, des yeux les plus parlant et les plus beaux du monde, peu de dents et toutes pourries dont elle parloit et se moquoit la première, le plus beau teint et la plus belle peau, peu de gorge mais admirable, le cou long avec un soupçon de goitre qui ne lui seyoit point mal, un port de tête galant, gracieux majestueux, et le regard de même ; le sourire le plus expressif, une taille longue, ronde, menue, aisée, parfaitement coupée ; une marche de déesse sur les nuées. Elle plaisoit au dernier point. Les grâces naissoiont

  1. Saint-Simon, édition Boislisle, t. IX. p. 63.
  2. Dangeau, t. VIII. p. 174.