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Madame, de la nuit que j’ai passée. Il faut prier Dieu pour notre princesse, qui se noie dans un verre d’eau[1]. »


Nous avons cru devoir citer également cette lettre presque en entier, parce qu’elle est toute à l’honneur de Mme de Maintenon. On l’y voit en effet dans son rôle de vieille amie justement émue, rachetant par la fermeté de ses conseils ses complaisances d’autrefois, mais soucieuse en même temps d’empêcher que les choses n’allassent à l’extrême et surtout de conserver à la duchesse de Bourgogne l’amitié du Roi. Mieux que tout ce que nous aurions pu dire, cette lettre fera aussi comprendre le genre de vie que menait la duchesse de Bourgogne et les justes reproches auxquels elle s’exposait. « N’était-ce pas assez pour un jour, disait le Roi, qu’un dîner, une cavalcade, une chasse, une collation ? » et il résumait ainsi admirablement en une seule phrase la vie que menait la duchesse de Bourgogne. Une frénésie de plaisir semblait s’être emparée d’elle et ne la laissait pas un moment en repos. Trois fois dans le même mois elle allait en partie à Paris. Il est vrai qu’une fois c’était en compagnie de Mme de Maintenon, pour aller rendre visite aux grandes Carmélites, voir Mlle de la Vallière, et l’on voudrait bien savoir quels propos furent échangés entre la jeune princesse et l’illustre pénitente[2]. Mais, les deux autres fois, c’était pour aller courir les boutiques, où elle faisait des dépenses considérables. Chez Mme Lebrun, modiste, rue de la Vieille-Monnoie, elle organisait même une partie de cartes, dont l’enjeu était une fort belle pièce d’étoffe. D’autres jours, elle allait se divertir à des foires célèbres, qui se tenaient alors à Paris ou aux environs, à la foire de Saint-Laurent, à celle de Saint-Germain ou de Nanterre, et s’amusait aux exercices des danseurs de corde, des faiseurs de tours ou aux représentations des marionnettes. Le menu peuple, ravi de la voir se mêler à ses plaisirs, la saluait de ses acclamations.

Ces mêmes plaisirs lui étaient offerts, mais sous une forme plus relevée, par Monsieur le Duc, dans sa propriété de Saint-Maur. En août 1702, il y organisa pour elle une fête magnifique. Il y eut chevaux de bois, sur lesquels la duchesse de Bourgogne courut la bague avec un plaisir infini, jeux à l’intérieur du château, chants de vieux opéras par Mlle Couperin accompagnée par son père, bal, collation. La duchesse de Bourgogne, après avoir dansé une partie

  1. Mme de Maintenon, d’après sa correspondance authentique, par M. A. Geffroy, t. II, p. 131.
  2. Mercure de France, mars 1700, p. 256 et passim.