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un grand mois. La pièce fut représentée le 19 janvier, toujours sur le théâtre dressé dans le cabinet de Mme de Maintenon. La duchesse de Bourgogne représentait la fille d’Absalon ; le duc d’Orléans, David ; le comte d’Ayen, Absalon ; la comtesse d’Ayen, Tharès, femme d’Absalon. « Les autres acteurs, ajoute Dangeau, étaient quelques domestiques de M. de Noailles, »[1] et il faut sans doute entendre par-là des gentilshommes de moindre naissance attachés au duc de Noailles. La pièce avait été mise en scène et les jeunes acteurs conseillés par Baron, célèbre autrefois comme comédien, mais aussi comme homme à bonnes fortunes, et qui était pour lors retiré et devenu auteur dramatique. Il jouait même dans la pièce un rôle assez important, et on pourrait s’étonner que ni Dangeau, ni Saint-Simon, si rigide sur l’étiquette, ne paraissent choqués de voir une princesse et des femmes de la Cour paraître sur la scène en compagnie d’un comédien de profession, qui devait rentrer bientôt au théâtre. C’est que la société aristocratique d’autrefois était moins susceptible sur certaines questions que la société démocratique d’aujourd’hui, précisément parce que, les distances étant plus grandes, il n’y avait pas à craindre de les voir oubliées. À cette représentation, le nombre des spectateurs admis fut plus considérable qu’à celle de Jonathas : une quarantaine environ, presque tous princes, princesses ou dames du palais. En dehors de ceux ou de celles à qui leurs fonctions donnaient droit d’entrée, il y eut très peu de courtisans conviés. La duchesse de Bourgogne portait un habit magnifique, brodé de toutes les pierreries de la Couronne. Grâce aux bons conseils de Baron, la représentation marcha fort bien. Nous en trouvons le récit dans une lettre de Madame, que nous croyons intéressant de reproduire en partie. Bien qu’elle fût en grand deuil de son mari, mort tout récemment, Louis XIV avait insisté pour qu’elle y assistât. Elle ne s’était point trop fait prier et communiquait ses impressions au roi d’Espagne Philippe V[2].

« Comme V. M. aime les comédies, je ne puis m’empêcher de luy dire que Mme la duchesse de Bourgogne en a joué une avec la

  1. Dangeau, t. VIII. p. 21)5.
  2. Cette lettre, dont l’original est aux archives de La Trémoille, est datée du 16 février 1702. Elle été publiée dans les Mémoires secrets du marquis de Louville (t. Ier, p. 214). et dans la Correspondance de Madame, duchesse d’Orléans, (édition Brunet, p. 62), mais confondue avec une autre lettre de date différente. Nous en avons rétabli le texte exact d’après l’original que M. le duc de La Trémoille a bien voulu nous communiquer