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lisait la même formule sur les monnaies et sur les monumens répliquait : « Eh bien ! sacrifie donc au Dieu soleil : Domino Soli[1].

Mais ce sont surtout les sectes gnostiques, mal séparées encore pour les profanes de l’orthodoxie chrétienne, qui travaillaient de propos délibéré à cette confusion. On s’imagine malaisément l’extravagant mélange que quelques-unes de ces sectes font des croyances chrétiennes et des enseignemens des mystères, qu’ils prétendent d’ailleurs concilier. Le Logos de Platon et de Philon devient pour eux le Christ, le Verbe incarné, et Hermogène place son tabernacle dans le soleil. D’autres appliquent au Christ le nom d’Iao, qui est un des surnoms mystiques du Bacchus solaire, et lui donnent pour assesseurs trois cent soixante éons, qui répondent aux 360 degrés du zodiaque. Basilide exprime la toute-puissance divine par le terme magique d’abraxas, qui reproduit par la valeur numérique des lettres le chiffre de 365. Saint Jérôme constate que les mithriastes usent du même procédé et obtiennent le même résultat, en opérant sur les lettres de Meithras. La secte des Pauliciens, qui persista sur les bords de l’Euphrate jusqu’au XIIe siècle, représentait la figure du Christ dans l’orbe solaire. Le succès des Manichéens, qui séduisirent un instant la jeunesse de saint Augustin, est fondé sur l’alliance des cultes mithriaque et chrétien. A la conférence de Cascar, l’évêque Archelaüs dit à Manès : « Prêtre de Mithra, tu n’adores que le soleil ! » et, dans la cérémonie de réconciliation, imposée aux Manichéens, on leur fait jurer que le Christ et le soleil ne sont pas pour eux la même personne.

En réalité, en dehors des idées que le néo-platonisme a rendues communes, le mithriacisme et le christianisme doivent fort peu l’un à l’autre. Les croyances et les dogmes mithriaques plongent par leurs racines, comme on l’a vu, dans les traditions les plus lointaines de la Perse et de la Chaldée. Ils sortent de données premières, dont on peut vérifier l’origine, et qui furent fécondées par la science des prêtres, pour en tirer un enseignement moral et les accommoder aux idées et aux formes de la civilisation gréco-romaine. Il est toutefois vraisemblable que le désir de rivaliser avec le christianisme et de contrarier sa propagande a pu conduire les mithriastes du dernier âge à insister davantage sur certaines analogies, à donner plus de relief à

  1. V. Le Blant : Les Persécutions et les Martyrs, ch. VII.