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commémoration de la première victime dont le sang versé assure à l’homme les bienfaits de la terre ; la figure du sacrifice des derniers jours, qui doit lui procurer l’immortalité céleste. Toutefois, afin qu’il puisse de son vivant bénéficier des mérites de cette expiation et anticiper, dès cette existence mortelle, sur la béatitude de la rénovation promise, la religion, en conformité avec les traditions de l’Orient, et avec la symbolique des vieux mystères, permet de substituer au Taureau divin l’animal terrestre dont le sang lave les fautes humaines. Par-là s’établit l’usage du taurobole, commun aux mystères de Mithra et à ceux de Cybèle. Ce baptême sanglant se recevait dans une fosse, à peine recouverte de poutrelles à jour. De la plaie de l’animal égorgé, la pluie rouge tombait, souillant le pénitent, qui lui présentait son front, ses yeux, sa bouche, toute sa personne. On sortait de là renouvelé pour l’éternité, in æternum renatus, et dans l’état de pureté première[1].

Les contemporains sont-ils allés plus loin dans l’interprétation du symbole ? Au fort de la lutte soutenue contre le christianisme, ont-ils jamais institué un rapprochement entre le sacrifice du taureau et le sacrifice de l’agneau, si souvent figuré dans les peintures des Catacombes ? Plusieurs modernes l’ont pensé. Nous croyons qu’ils ont été dupes d’analogies superficielles. Firmicus Maternus dit bien à propos du taurobole : « Ce sang ne rachète pas, il souille qui le reçoit. » Mais l’allusion porte toute sur la vertu rédemptrice supposée au sang du taureau. Pas un auteur païen, pas un apologiste chrétien n’ont vu, dans le sacrifice du tauroctone, Mithra s’immolant lui-même sous les espèces de l’animal emblématique. Il faut décidément renoncer à ce rébus de mauvais goût, étranger au génie de l’antiquité, et qu’a pu seule imaginer une symbolique exaspérée.


VI

Les Pères de l’Église ont souvent signalé chez les mithriastes des sacremens qui leur seraient communs avec ceux des chrétiens : le baptême, la pénitence, l’oblation du pain et de la coupe, la croyance en la résurrection. Ne voir dans ces ressemblances qu’imitation grossière et impudente contrefaçon est un procédé de critique trop commode. Les auteurs chrétiens eux-mêmes ne

  1. V. Prudence : Peristephanon, liv. X, ch. V, p. 1012 et sq.