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nos églises historiques, — catholique, protestante, israélite, — comme des associations ordinaires, c’est jouer avec les mots sous une apparence de logique, et créer une inextricable équivoque. Il faut prendre son parti de traiter séparément la question des associations et la question des Églises : cette dernière a toujours été réglée en France conformément à d’autres principes et par des procédés différens. Veut-on vraiment aboutir ? C’est à cela même qu’on pourra le reconnaître. Si on môle les associations ordinaires et les Églises, nous aurons le droit de croire qu’on ne le veut pas sincèrement, et que, comme par le passé, on ne cherche qu’un moyen de tout ajourner. Mais l’opinion, aujourd’hui, le souffrirait-elle ?

Il est inouï qu’après un quart de siècle de République, cette question n’ait pas encore été résolue, ne fût-ce que partiellement. Laissons le mot de ligues, qui pourrait jeter quelque confusion dans les esprits : en réalité, les associations vivent actuellement sous le pur régime du bon plaisir. On les tolère lorsqu’elles plaisent, lorsqu’elles servent, lorsqu’on les juge inoffensives, et surtout lorsqu’on croit pouvoir les utiliser ; sinon, on les supprime administrativement, et on poursuit judiciairement leurs membres devant les tribunaux. Cette inégalité est révoltante : elle viole directement le principe, que la loi doit être égale pour tous et la même à tous les momens. Une loi qu’on n’appliquait pas hier et qu’on applique aujourd’hui n’est qu’une loi intermittente. Une loi qu’on applique à moi et non pas à autrui est une loi d’arbitraire et de fantaisie. Le gouvernement invoque actuellement contre les ligues qu’il poursuit l’article 291 du Code pénal, qui interdit les associations de plus de vingt personnes. Cela nous rajeunit ! Dans les jours difficiles, les gouvernemens antérieurs ont tous fait usage de cet article, avec gaucherie d’ordinaire, avec embarras, avec brutalité ; mais ils ont rencontré constamment autrefois la protestation du parti républicain et des libéraux de tous les partis. L’article 291 a été toujours condamné, et toujours conservé, ou réservé comme une arme qu’on n’osait pas avouer, mais dont on ne voulait pas non plus se dessaisir. Pendant des périodes parfois assez longues, on n’en parlait plus, on pouvait le croire définitivement tombé en désuétude. Et puis, subitement, on le voyait sortir de cette espèce de léthargie et reprendre sa vigueur répressive. Il ressemble aux infirmités sourdes avec lesquelles nous vivons tant bien que mal et qui ne nous incommodent pas trop lorsque notre santé générale est bonne, mais qui se font sentir péniblement aussitôt que nos forces déclinent ou qu’une maladie vient les déprimer momentanément. Il est le