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regards. Ici, l’appel de Jésus est bien demeuré celui d’un Dieu ; mais le cri de Madeleine est devenu l’un des plus humains, l’un des plus beaux d’épouvante en même temps que de ravissement et d’amour, qu’ait jamais jetés une créature. L’éclat, admirable par lui-même, l’est aussi par ce qui le précède et par ce qui le suit. Encadré entre un retour du thème de la résurrection et la reprise plus que jamais grandiose de l’Alléluia, l’un des motifs le prépare, l’autre le continue, et la force, qui ne s’était pas révélée brusquement, ne vient pas non plus brusquement à s’éteindre. À ce moment, comme l’a très bien écrit un de nos confrères, le frisson des authentiques chefs-d’œuvre, le frisson du sublime a passé.

Oui, c’est par la force, par l’effusion et l’explosion de la vie, qu’un jeune homme, presque un enfant, a pu n’être pas au-dessous du sujet qu’un maître immortel avait déjà fait sien par la douceur et le mystère. Il est beau d’avoir non pas élevé plus haut, mais renouvelé l’interprétation ou l’idéal d’une telle scène. Rabboni ! Ce cri surtout, dont on croyait connaître l’accent unique, pourra désormais sonner autrement dans notre mémoire, et le jardin de Joseph d’Arimathie a été témoin d’un peu plus de beauté.

Près de cette page, peut-être même au-dessus, j’en sais une autre, cachée et comme noyée dans le clair-obscur : c’est l’apparition de Jésus parmi les disciples. Nous parlions de mots sacrés, de mots terribles et presque défendus à la musique. Le Pax vobis est de ceux-là. Comme la musique a su pourtant le traduire ! Comme elle a noté le salut mystérieux ! De quelles notes surnaturelles, étouffées, semblables à l’entrée furtive et sans bruit d’un Christ que Fromentin eût appelé, comme celui des Pèlerins d’Emmaüs, « un revenant divin ! » Ce n’est rien, ces quelques mesures étranges. Et pourtant il n’est pas impossible que ce soit quelque chose d’admirable, d’admirable sans réserve et pour toujours. Tout à l’heure on songeait à la Madeleine du Titien, échevelée et tragique ; maintenant c’est au Christ de Rembrandt qu’on pense. Il n’est pas très commun qu’une œuvre musicale évoque de tels souvenirs.

Et pourtant la beauté de cette musique n’a pas éclaté à tous les esprits. Plus d’un mandarin de France a fait chèrement payer sa gloire nationale au jeune prêtre d’Italie. Nous sommes pour le moment assez mal préparés à l’admirer ou seulement à le comprendre. Avant tout, il est simple, et rien ne peut moins sur nous que la simplicité ; à peine savons-nous encore la reconnaître et la distinguer de la platitude ou de la misère. L’art de Don Lorenzo n’a rien de commun avec ce que