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une raison de plus pour que les gendarmes et la police n’arrêtent pas un vagabond sur 5, et puisque notre chiffre de 200 000 représente cinq fois le nombre des vagabonds arrêtés en 1894, on peut en conclure, en retranchant les récidivistes, que l’armée nomade des misérables compte plus de 100 000 membres[1].

Quant au chiffre des individus prévenus de mendicité, qui était en 1845 de 3 916, il a suivi, régulièrement aussi, une progression constante et s’est élevé en 1895 à 13 724.


I

Quelle cause convient-il d’assigner à cet inflexible accroissement du nombre des vagabonds et des mendians, alors que « la grande industrie distribue cent fois plus de salaires que l’ancienne, qu’elle fait vivre cent fois plus d’ouvriers, qu’elle réduit le prix de tous les objets manufacturés et, par-là, met à la portée de l’ouvrier non seulement le nécessaire, mais ce qui eût été le luxe, il y a cent ans[2] ? »

L’attribuerons-nous à la dépopulation des campagnes, et l’exode des paysans venant faire concurrence aux ouvriers des villes produit-il au centre des cités une sorte de remous dont l’écume se répand ensuite sur le pays sous la forme du vagabondage et de la mendicité ? La cause primordiale résiderait-elle, comme le prétendent beaucoup de vagabonds, dans le perfectionnement de l’outillage et le triomphe des machines ?

Sans doute la création de l’outillage perfectionné a nécessité l’intervention d’un personnel nouveau ; il en a été de même de la vente toujours plus active, de la production toujours plus considérable de marchandises de moins en moins coûteuses ; mais, si ces élémens nouveaux de la fabrication et de la vente ont pu être une nouvelle source d’occupation pour les ouvriers auxquels les machines avaient enlevé leur travail, ils n’ont cependant point apporté avec eux le remède au mal qu’ils avaient créé. Le haut commerce et la grande industrie, nés de la fédération des capitaux, en même temps qu’ils ont été la ruine des petits artisans et des petits négocians, ont créé un courant d’émigration des villages

  1. Nombre des vagabonds arrêtés dans le département de l’Ain avant et après l’affaire Vacher : 1897 : Bourg 83, Helley 16, Nantua 11, Gex 6, Trévoux 28. — 1898 : Bourg 173, Belley 102, Nantua 34, Gex 25, Trévoux 122.
  2. Alfred Rambaud, Histoire de la Civilisation contemporaine en France, p. 486.