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de restaurer et de réunir ses lambeaux de vie dispersés. Nous avons erré, du matin au soir, sur des routes qu’embrasaient les ruines ardentes, et sous une forêt pleine d’apparitions. Longues jambes noires et robes jaunes, des bonzes, mâcheurs de bétel, les yeux fixes et l’éventail à la main, rôdaient dans ces débris déserts, comme de grands échassiers autour de leur nid dévasté ; et les chemins étaient fleuris de parterres miraculeux, papillons groupés, fleurs immobiles et vivantes que le bruit de nos pas dispersait en milliers d’ailes.

Et nous vîmes d’abord les dagobas, qui s’érigent de tous côtés et qui sont ce que l’architecture cynghalaise a produit de plus original, car, si l’Inde en a peut-être ornementé les dépendances, leur forme appartient à Ceylan. Monumens bouddhiques, elles n’étonnent plus quand on a mesuré des yeux l’énormité des Bouddhas couchés. Il était naturel d’honorer ces dieux par des constructions aussi lourdes que gigantesques. Je n’ai jamais mieux compris la grâce des pyramides que devant ces cloches en maçonnerie dont plusieurs ont trois cent cinquante pieds de diamètre et en eurent jusqu’à trois cents de hauteur. Toutes en briques, revêtues jadis d’un enduit blanc, surmontées d’un pinacle étincelant, comme un casque de sa pointe, elles reposent sur un socle de granit qui s’étage en trois degrés circulaires, au milieu d’une terrasse carrée, dallée, ceinte de murs à créneaux pointus, hérissée des statues, presque assyriennes, de rois mutilés et de bonzes sans tête. Aux quatre points cardinaux, des autels de pierre ornés de bas-reliefs se dressent pour recevoir les fleurs des fidèles, et, devant chacun d’eux, un large escalier descend dans la première enceinte, habitée par les prêtres et qu’entouraient autrefois des éléphans en briques armés de vrais ivoires. Au pied de l’escalier, de la même largeur que ses marches, s’arrondit la pierre de lune, cette dalle demi-circulaire où se déroulent entre des bandes d’arabesques et de feuilles de lotus, une frise d’animaux invariablement composée d’un éléphant, d’un buffle, d’un lion et d’un cheval, et un cordon d’oies rapides qui parfois laissent pendre de leur bec la fleur sacrée. Les deux rampes de l’escalier se recourbent en trompes d’éléphans, et, de chaque côté de la pierre de lune, sculptés dans le bloc même et sous le cintre d’une niche de granit, les gardiens des portes, tous pareils, tous charmans avec leurs paupières baissées, leur figure de femme dont on ne sait trop si elle va sourire ou pleurer, leurs