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crénelure de briques : c’est la prison. Parqués en des stalles étroites et assis sur des tronçons d’arbres, les prisonniers dépouillent des noix de coco de leur jaune tignasse et entassent ces filamens pour en faire des matelas. D’autres, au milieu d’une cour embrasée, tournent en file indienne autour d’une palissade à auvent. Ils portent de lourds fardeaux de terre, et chaque touraccompli se marque sur un cadran de bois dont leur chef de file déclenche l’aiguille automatiquement. Quand ils ont achevé six tours, on leur permet de changer leur faix d’épaule. Ils marchent ainsi quatre heures le matin, quatre heures le soir, et subissent ce régime trois mois. Voilà bien un de ces travaux inutiles et par-là même absurdes, dont parle l’auteur de la Maison des Morts, un de ces châtimens « qui sont moins une correction qu’une atroce vengeance. » Mais je ne lus point de désespoir sur ces faces brutales ou rusées de Cynghalais, de Malais et de Mores. Les paroles et les sentimens de Dostoiewsky sont d’un homme libre. Ceux-ci, déchus de leur personnalité par le fatalisme musulman ou les superstitions bouddhiques, ne sauraient souffrir moralement de l’avilissante stérilité de leur tâche. Ils défilent, vêtus comme nos baigneurs d’un costume bleu à raies blanches, devant des surveillans en tunique beige, casqués contre le soleil et armés de petites massues. Les cellules des condamnés à mort s’ouvrent sur une galerie radieuse. L’une d’elles était occupée. Debout, devant la porte close, un factionnaire, quand il aperçut le directeur, porta vivement la main à son casque et cria le mot d’ordre : « Tout va bien ! » Un prêtre, un grand missionnaire italien, que sa soutane noire grandissait encore, sortit et traversa la cour de ses larges enjambées.

Je suis revenu à la pagode ; j’ai erré dans les jardins qui l’entourent, parmi les arbres sacrés, les monticules herbeux, les sanctuaires écaillés où somnolent des Bouddhas peints et les vieux autels de pierre jonchés de fleurs. Derrière le temple et le couvent, dans des maisons de bourgeoise apparence, et qui s’élèvent sur l’emplacement du palais des rois cynghalais, logent aujourd’hui des notaires, des agens d’affaires, des solicitors anglais. Leurs écussons de cuivre sont cloués au-dessous de leurs sonnettes. On se croirait dans une petite ville d’Occident. Mais, à deux pas de leur seuil, l’art prestigieux de nos frères orientaux a fait d’un pavillon de bois rectangulaire la merveille de Kandy. Ses colonnes dont la sombre lumière défie l’éclat du marbre, sa charpente d’une grâce puissante et massive, ses chapiteaux étranges,