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pleinement confirmé ses craintes. La vengeance poursuivie contre l’Autriche allait-elle donc lui échapper ? Le prince Gortchakof se hâta d’offrir à Napoléon III, par l’entremise du comte de Kisseleff, de reprendre les négociations de Varsovie, sans les conditions onéreuses stipulées dans le projet de traité du mois d’octobre 1858. Il lui importait de nous convaincre, pour nous empocher de reculer, qu’en tout état de cause, nous pourrions compter sur l’appui de la Russie. Lorsque, pour déjouer la tactique de lord Malmesbury, l’Empereur s’arrêta à l’idée du congrès, le cabinet de Pétersbourg s’empressa d’intervenir et de réclamer la réunion des puissances. Compère empressé, mais allié peu sûr, le prince Gortchakof, le tour joué, ne se fit pas faute d’insinuer dans ses dépêches qu’il ne s’était mis en avant que sur nos incitations et pour nous être agréable[1].

Lord Malmesbury s’irrita fort. Il annonça, de méchante humeur, qu’il se retirait « de la mêlée » et ne prendrait pas part à un congrès où seraient discutés pour y être modifiés les traités de 4815 ; il laisserait dorénavant les événemens suivre leur cours. L’indignation est mauvaise conseillère ; le cabinet de Londres ne tarda pas à le reconnaître. Tout d’abord, l’opinion en Angleterre n’épousait pas avec la même chaleur la cause autrichienne, ses préférences se reportaient plutôt sur l’Italie. Et puis, se brouiller avec la France, c’était la rapprocher étroitement de la Russie ; mieux valait décidément rentrer en scène et tenter de nouveaux efforts en faveur du maintien de la paix.

L’influence de la Russie semblait en effet grandir de jour en jour ; son amitié était recherchée non seulement par la Prusse, mais aussi par l’Autriche. L’archiduc Albert était accouru à Varsovie pour y faire sa cour au tsar, et le prince régent de Prusse, dans la première quinzaine de mars, s’était rencontré avec lui à Breslau. Ces deux rencontres se suivant de si près avaient inquiété à la fois la cour de Windsor et celle des Tuileries. L’Angleterre pouvait craindre qu’à la suite des pourparlers de Breslau, l’influence russe ne se substituât à la sienne à Berlin, et il était permis à la France d’appréhender que l’empereur Alexandre ne se laissât attendrir par les protestations de l’archiduc Albert. Le comte de Kisseleff ne tarda pas à rassurer pleinement le comte Walewski ; à l’entendre, le tsar, toujours fidèle aux promesses

  1. « Déférant au désir de la France, écrivait le prince Gortchakof à son ministre en Angleterre, le Cabinet impérial a cru devoir prendre l’initiative du congrès. »