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XV. — LES CONSEILS DE M. THIERS A L’EMPEREUR

M. Thiers, à ce moment, était en coquetterie avec les Tuileries. L’Empereur l’avait pris par son côté faible on lui décernant dans un de ses discours le titre d’ « historien national. » Il n’en avait pas fallu davantage pour amortir les ressontimens laissés par le Deux Décembre. Lorsque M. Thiers apprit que Napoléon III, lié avec le Piémont, méditait une guerre contre l’Autriche, il crut devoir intervenir et adressa au souverain des avis dictés d’ailleurs par la sagesse et le patriotisme. Il exposa, avec grand renfort de cartes, de notes et de documens, les chances de la guerre, à un familier de la Cour chargé de rapporter ses paroles à qui de droit. D’après lui, l’objectif dans une guerre contre l’Autriche ne pouvait être que Vienne, située à l’extrémité de la chaîne des Alpes. Il importait d’opérer par les deux versans, celui du Danube et celui de l’Adige ; en opérant par un seul, on s’exposait à un échec certain. Napoléon avait fait quatre campagnes en Italie, celle de 1796-1797, celle de 1800, celle de 1805 et celle de 1809.

En 1796-1797, Moreau était sur le Rhin avec 60 000 hommes, couvrant Bonaparte : la Prusse était neutre.

En 1800, Moreau marchait par la vallée du Danube avec 80 000 hommes, tandis que le Premier Consul descendait en Italie par le mont Saint-Bernard : la Prusse et l’Allemagne étaient neutres.

En 1806, l’Empereur marchait sur Linz, Masséna sur l’Adige avec 60 000 hommes : la Prusse et l’Allemagne étaient encore neutres.

En 1809 enfin, l’Empereur prenait par la vallée du Danube et le prince Eugène par l’Adige : la Bavière était avec la France ; la Prusse et le reste de l’Allemagne étaient toujours neutres.

Mais la guerre serait chanceuse si, par suite de la neutralité de l’Allemagne (comprenant le Frioul allemand et le Tyrol), l’armée française était réduite à n’opérer que sur l’Adige ; et les Autrichiens, en les admettant chassés des forteresses, pouvaient se retirer dans le Tyrol et refuser la paix. La diversion par l’Adriatique n’avait pas l’approbation de M. Thiers ; un débarquement entre Venise et Trieste lui paraissait gros de difficultés.

Ayant ainsi formulé ses appréciations stratégiques, le futur Président de la République déniait en quelque sorte à Napoléon III le droit moral d’entamer la lutte.