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attaquer le premier, pourvu que le Piémont respectât l’inviolabilité de son territoire et de celui de ses alliés. Le comte Buol avait habilement manœuvré ; la proposition d’évacuation, formulée sur ses conseils par le Saint-Siège, enlevait à M. de Cavour un des griefs que celui-ci avait coutume de faire sonner le plus haut ; et la promesse de l’Autriche de ne pas attaquer la première désarmait la France. Cette double concession allait singulièrement faciliter les pourparlers[1].

Le ministre de François-Joseph, bien qu’il eût les nerfs agacés par les incessantes provocations parties de Turin, se montra conciliant. Mais les bonnes dispositions qu’il rencontrait n’empochèrent pas lord Cowley de noter la conviction où l’on était à Vienne des sentimens belliqueux de la France ; l’indignation qu’y soulevait la seule pensée de céder des territoires à la Sardaigne ; enfin la confiance avec laquelle on escomptait le déchaînement des passions en Allemagne et l’assistance de toute la Confédération germanique. « Aussi longtemps qu’on laissera la Sardaigne armée, écrivait lord Cowley, je doute que l’Autriche veuille entrer en négociations, parce qu’elle la considère comme l’avant-garde de la France, destinée à lui laisser le temps d’armer, et elle n’aura aucune confiance dans les protestations pacifiques, tant que cette avant-garde subsistera. Le désarmement de la Sardaigne est à ses yeux le gage de la sincérité de la France. » Lord Cowley ne s’en mit pas moins à l’œuvre avec l’ardeur qu’inspire l’accomplissement d’un grand devoir. Convaincu que la paix du monde, et peut-être le salut d’un souverain auquel il était sincèrement attaché, dépendaient du succès de sa mission, il se porta garant de notre sincérité. Il réussit à arracher au cabinet de Vienne les concessions essentielles, largement suffisantes pour conjurer la guerre, si le gouvernement français s’était senti la force d’en imposer l’acceptation au cabinet de Turin.

Le comte Walewski le secondait de tout son pouvoir ; on le voit par les instructions adressées à notre chargé d’affaires, le marquis de Banneville. « La situation, lui écrivait-il, dans une

  1. L’Annuaire de la Revue des Deux Mondes ayant, sur des données officielles, consacré tout un chapitre aux négociations poursuivies entre lord Cowley et le comte Buol, je ne m’y arrêterai pas. L’Annuaire de la Revue des Deux Mondes comptait, au nombre de ses rédacteurs, avec l’autorisation du ministre, des secrétaires attachés au département des Affaires étrangères, tels que MM. H. Desprez, Charles et René Lavollée, Lefebvre de Béhaine, Lefebvre de Bécour, Albert Sorel, baron Imbert de Saint-Amand, ainsi que MM. de Mazade et Cucheval-Clarigny.