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Cependant, l’Empereur ayant protesté maintes fois et hautement de ses sentimens pacifiques, et déclaré solennellement qu’il n’avait pris d’autre engagement avec le royaume de Sardaigne que celui de le défendre contre une attaque inique et préméditée, les partisans de la paix, bien qu’inquiets, ne désespéraient pas. La diplomatie, d’ailleurs, redoublait d’activité ; on comptait sur ses efforts, sur son habileté, pour préserver l’Europe d’une conflagration générale. Les actes, malheureusement, à chaque instant, démentaient les déclarations de Napoléon III. On eût dit que les chancelleries, s’inspirant du mot de M. de Talleyrand, écrivaient des dépêches pour déguiser leur pensée. L’opinion passait par toutes les alternatives d’espoir et de déception. Aux assurances tranquillisantes du Moniteur, le gouvernement sarde avait répondu par l’émission d’un emprunt de 50 millions, puis par l’appel de ses contingens. Les articles contradictoires des journaux ne contribuaient pas peu à jeter le trouble dans les esprits. : le Siècle, organe du prince Napoléon, était belliqueux ; la Patrie, inspirée par les Tuileries, parlait un langage sibyllin ; le Constitutionnel, initié à la pensée du ministre des Affaires étrangères, se portait garant d’une solution pacifique. Cet imbroglio durait depuis le 1er janvier ; les plus experts renonçaient à y démêler la volonté du souverain. M. de Cavour et son roi seuls, à en juger par leurs manifestations, semblaient savoir ce qu’ils voulaient. C’était la guerre, à n’en pas douter ; seulement, ils n’étaient pas absolument certains d’y parvenir. Il leur fallait compter avec la volonté flottante de leur allié, qui, trop souvent à leur gré, subissait la pression de ses conseillers officiels et se laissait émouvoir par les objurgations de la reine Victoria et de son cabinet.

L’Angleterre, tout en désirant sincèrement le maintien de la paix, reculait devant les résolutions viriles qui eussent pu l’imposer. Mais ses diplomates déployaient une activité fiévreuse pour contrecarrer les desseins de M. de Cavour. A Turin même, sir James Hudson montrait le Piémont marchant à la remorque de la France, ruiné, discrédité, ayant perdu toute autorité en Italie, et toute sympathie en Europe[1]. Le cabinet de Vienne seul était ménagé ; cependant on ne laissait pas ignorer au comte Buol

  1. Lord Malmesbury, à la date du 12 février, avait chargé sir James Hudson de dire à M. de Cavour que la Sardaigne, vu l’exiguïté de son territoire, tomberait au rang d’auxiliaire de la France et que les intérêts de la maison de Savoie ne seraient pas consultés dans une réorganisation de l’Italie du Nord, soit sous un gouvernement monarchique, soit sous un régime républicain.