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Lord Malmesbury le mit au comble de la joie en lui disant qu’il croyait le moment venu pour l’Allemagne de placer un corps d’observation sur le Rhin. Il prit acte du propos et non seulement se hâta d’en faire part au ministre de Prusse à Londres, mais il pria le roi de Saxe de communiquer son entretien avec le ministre anglais au prince régent, « car il importe, disait-il, que le cabinet de Berlin soit encouragé, si, comme je l’espère, son attitude vis-à-vis de la France devait s’accentuer. » Ce qui le charma tout particulièrement, ce furent les assurances « significatives » que lui donna lord Malmesbury au sujet de la neutralisation de la Baltique et de la mer du Nord : « Une démonstration allemande sur le Rhin, lui avait-il dit, ne saurait empêcher cette neutralisation. » M. de Beust était ravi ; les paroles qu’il avait recueillies à Londres dépassaient ses espérances. Il pensait avoir fait merveille et ne doutait pas qu’à son retour l’Allemagne reconnaissante ne le proclamât un grand politique.

Malheureusement, avant de repasser le détroit, il eut avec le prince consort un entretien qui lui donna à réfléchir : — « J’ai pénétré au fond de sa pensée, disait-il amèrement, et ce que j’y ai lu me suggère les plus tristes réflexions. Il ne m’a pas caché, hélas ! que toute son ambition était de voir les forces militaires de toute la Confédération sous le commandement suprême des Hohenzollern, et il m’a avoué qu’il n’avait pas abandonné le rêve, caressé en 1848, d’un empire prusso-allemand. » Le mot de dupe qu’il avait entendu aux Tuileries revint à son esprit : « Il n’est que trop vrai, disait-il mélancoliquement, nous serions des comparses, sans volonté, appelés à faire les frais d’un arrangement, si, bien inspirée, la Prusse faisait de l’Autriche son obligée. » Etre dupes et comparses, tel était en effet le sort réservé aux gouvernemens allemands de second ordre. En voulant entraîner la Prusse, ils lui donnaient forcément la haute main en Allemagne, et devaient en arriver à se livrer à elle. Chaque progrès de la Prusse marquait un pas de plus vers leur asservissement.

Napoléon III avait gardé de son entretien avec le ministre saxon une fâcheuse impression. Depuis qu’il était au pouvoir, il n’avait rien négligé pour s’assurer les sympathies de l’Allemagne. Si la Prusse avait pu forcer à Paris les portes du Congrès, c’était grâce à son active intervention, et c’est à son arbitrage dans l’affaire de Neuchâtel qu’elle devait d’être sortie de cuisans embarras. En toutes circonstances, il avait traité les souverains des