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plus qu’à moitié romains. Ce n’est pas qu’il ait cherché de parti pris à le faire : il croyait sincèrement n’y avoir rien changé ; mais, quoiqu’il prétende quelque part « qu’il a transporté Athènes au milieu de Rome, sans avoir besoin d’architecte, » et qu’il dise aileurs : « Nous sommes en Étolie, » on s’aperçoit bien qu’on n’est pas en Grèce, quand on l’entend parler du Forum et de la contio, des édiles et des préteurs, de la porte Trigémine et des marchands du Vélabre. Ce ne sont là que des vétilles, mais il y a aussi des altérations plus profondes. Plante n’était pas un critique assez expérimenté, il ne savait pas assez se détacher de lui-même, pour voir les auteurs qu’il imitait comme ils sont ; les personnages que ces auteurs font agir et parler lui apparaissent tels qu’il les a vus autour de lui et qu’il les a fréquentés, et, sans le vouloir faire, il les peint comme il les connaît. De cette façon, il devient original à son insu, ce qui est la meilleure façon de l’être. Certes, dans les changemens qu’il leur fait subir, tout n’est pas profit pour eux. Il commence en général par leur appliquer une couche de grossièreté. Les connaisseurs, les délicats, épris de l’art grec, en seront plus tard indignés, et regretteront de ne plus reconnaître ces personnages distingués, ces jeunes élégans, ces sages diseurs de belles maximes que représentait Ménandre ; mais le public de Plante trouvait un grand plaisir à les voir sous la forme nouvelle qu’il leur avait donnée. Quelques-uns d’entre eux prennent, dans ses pièces, un merveilleux relief : le souteneur, par exemple, — est-il possible d’oublier cette étonnante création de Ballio, si brutal, si franchement cynique, et les recommandations impudentes qu’il adresse, dans le Pseudolus, à son troupeau de femmes, quand il les quitte[1] ? — et, à côté du souteneur, un autre personnage, qui paraît appartenir à une époque plus récente, et qu’on ne s’attendait pas à trouver du temps des guerres puniques, le banquier. Nous sommes beaucoup trop tentés de croire que nous avons inventé la question d’argent ; elle a tourmenté les Romains presque autant que nous, et de très bonne heure. Dans Plante, un personnage affirme qu’une jeune fille, quelle que soit sa réputation, trouve toujours à se marier, pourvu qu’elle ait une dot ; et un autre, à qui l’on tournait le dos quand il était pauvre,

  1. Je me souviens d’avoir vu représenter à Rome, il y a quelque vingt ans, sur le théâtre Argentina, une traduction du Pseudolus. Ballio criait, s’agitait, faisait des gestes, comme un acteur antique, et les rires des Romains me prouvaient que cette façon de jouer n’avait pas cessé de leur plaire.