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loi qui préside à la façon dont ils sont distribués, ce qui est assez vraisemblable, on ne l’a pas découverte. Mais leur caractère lyrique et musical ne peut pas être méconnu. Il ne se manifeste pas par la pompe des expressions, l’éclat des images, le mouvement de la pensée et une sorte de feu intérieur, comme dans les odes de Pindare ou chez les modernes. Les signes en sont plus matériels : c’est une certaine ampleur dans le développement, l’accumulation des mots, le retour des assonances. Les vers de ce genre remplissent quelquefois des scènes entières, dans lesquelles les poètes mettent aux prises des personnages qui s’attaquent et se répondent[1] ; mais, plus souvent, ils sont réservés à des monologues et à des tirades où l’un des acteurs garde tout le temps la parole. Ces monodies ont pris dans le drame romain de plus en plus d’importance, et c’est à elles que le nom de canticum a fini par être uniquement réservé[2]. Le public témoignait pour elles le goût le plus vif ; il les applaudissait avec furie, il les faisait répéter jusqu’à fatiguer l’acteur qui était chargé de les dire. La musique en était composée par un artiste spécial, dont le nom se lisait sans doute sur l’affiche, puisqu’il a été conservé dans les didascalies de Térence, et l’on raconte que les airs qu’il mettait sur les paroles du poète obtenaient assez de popularité pour qu’en les entendant, on reconnût la pièce à laquelle ils appartenaient, et que, « dès les premiers sons de la flûte, on dît : C’est l’Andromaque ; ou : C’est l’Antiope. » Malheureusement, rien ne s’est conservé de cette musique, et nous avons perdu avec elle un élément essentiel du théâtre ancien. N’oublions pas, quand nous relisons les comédies de Plaute, que nous n’avons plus pour les juger qu’une partie de ce qui en faisait le charme. Si l’on veut être équitable, il faut tenir compte de ce qu’y ajoutait d’agrément le joueur de flûte ; et voilà pourquoi j’ai cru devoir l’aller chercher dans ce coin de coulisse où il se dissimule, pour le présenter aux lecteurs.

  1. Toutes ces questions ont été récemment étudiées avec beaucoup de sagacité par M. Frédéric Léo, dans un travail intitulé : Die Plautinischen cantica und die hellenistische Lyrik. Il cite, entre autres, comme exemple de ces scènes lyriques celle qui se trouve dans le premier acte du Curculio. Elle débute par la monodie d’une vieille femme chargée de garder la porte d’une maison de courtisanes et qui est attirée par l’odeur du bon vin qu’on a répandu sur le seuil. Elle s’entretient ensuite avec l’amoureux d’une des femmes dont elle a la garde et son esclave, qui la plaisantent et essayent de la gagner, et le tout se termine par la monodie charmante du jeune homme dont je viens de citer les deux premiers vers. C’est une fort agréable scène d’opéra-comique.
  2. Pour les grammairiens latins, le canticum est toujours un « morceau où un acteur parle seul. »