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préparée dans les nombreux ports de la Manche et du Pas de Calais desservis par les canaux et les rivières. Il y a, en effet, tout intérêt à diviser la surveillance de l’ennemi. D’ailleurs, des fausses sorties répétées multiplieraient ses alertes et ne tarderaient pas à produire le désarroi dans sa vigilance. Les escadrilles de péniches, formées en divisions, encadrées par des torpilleurs, dont les plus puissans feraient, avec les sous-marins, les arrière-gardes, seraient exercées à se glisser la nuit le long des côtes en colonnes minces, à passer d’un port à l’autre en rasant la terre, à évoluer, à se prêter secours, de manière à laisser au hasard la plus petite part possible, le jour où l’ordre de marche sera donné.

À ce moment, nos escadres intactes et fraîches attaqueront sans compter l’adversaire, harassé par les fatigues des croisières et du blocus. Cette lutte, même inégale, pourrait bien réserver des surprises à l’ennemi.

La traversée du canal est-elle aussi périlleuse que les Anglais affectent de le croire ?

Il ne faut pas perdre de vue que l’assaillant a toujours pour lui les principaux élémens du succès : l’initiative, qui lui permet de surprendre, et la parfaite connaissance du but. Il paraît peu logique de parler de surprise entre deux adversaires qui restent en présence pendant des semaines et ne se quittent pas des yeux. Mais l’assaillant, en se réservant le choix du moment et du point où il veut frapper, tient son adversaire en perpétuelle haleine, et celui-ci se trouve surpris par la soudaineté de l’attaque à laquelle il s’attend, sans doute, mais dont il n’a pu prévoir ni le moment, ni la direction. D’ailleurs, la difficulté de discerner l’attaque décisive est extrême, lorsque les fausses attaques sont nombreuses et sont lancées simultanément de points éloignés les uns des autres. Dans les conditions où nous nous trouvons, il ne faut qu’une nuit pour que tout soit décidé.

Certes, une opération de cet ordre comporterait une part d’imprévu et de dangers. Mais elle présenterait tant de chances de réussite que l’on ne saurait hésiter à l’entreprendre.

En outre, nous connaissons exactement l’organisation de la défense des côtes anglaises, son partage en différens secteurs, le personnel des gardiens de côte à terre, ses consignes, les navires éclaireurs pour la surveillance et les cuirassés affectés à la police des différentes régions maritimes. Nous n’ignorons ni le nombre des anciens soldats en disponibilité de réserve, ni les 200 000