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vitables ? Ne sont-ce pas ceux qui en ont été les premières victimes ? Ne sont-ce pas ceux qui, depuis plusieurs jours, agitaient l’opinion sans prétexte avouable, s’efforçaient de la passionner et de l’enfiévrer, et, après avoir esquissé dans la rue un commencement d’émeute, n’ont pas reculé devant des tentatives plus coupables ? Cette armée qu’on fait profession de tant aimer, on a essayé de l’embaucher pour la tourner contre la loi et contre son représentant le plus élevé : quelle plus grande offense pouvait-on lui faire ? Le fait s’est produit aussitôt après les obsèques de M. Félix Faure. Tout s’était bien passé jusque-là. Paris avait fait au président défunt des funérailles dignes de lui. La journée, une des plus belles de cette saison clémente, avait été éclatante de lumière. Mais le soir, au moment de la rentrée des troupes dans leurs quartiers, M. Déroulède, escorté de M. Marcel Habert, s’est dressé subitement devant un général et a saisi la bride de son cheval pour l’entraîner, avec sa troupe, du côté de l’Elysée. — Venez avec nous, général, lui disait-il : vous sauverez la France ! — Et ce général n’avait pas été choisi au hasard : c’était le général Roget, ancien chef de cabinet de M. Godefroy Cavaignac au ministère de la Guerre, et que, pour ce seul motif, on regardait comme un mécontent prêt à participer à tous les coups de tête. C’était faire injure au général Roget, et aussi à M. Cavaignac. Mais dans l’espèce d’hallucination qui trouble aujourd’hui tant de cervelles, les procédés sont les mêmes, bien que les uns en usent plus adroitement que les autres. De même que les radicaux et les socialistes avaient jeté leur dévolu sur M. Loubet sans se donner la peine de prendre son agrément, M. Déroulède et M. Marcel Habert ont jeté le leur sur le général Roget sans se préoccuper davantage de ce qu’il en pouvait penser. Ils le croyaient à eux : pourquoi ? parce que cela leur convenait ainsi. Le général Roget s’est trouvé être, ce qui n’étonnera personne, un soldat loyal et discipliné, ne connaissant que son devoir, et résolu à ne pas s’en laisser détourner. Que serait-il arrivé s’il en avait été autrement ? Dieu le sait. Ce que nous savons toutefois, c’est qu’une entreprise aussi puérilement machinée ne pouvait aboutir qu’à une échauffourée de quelques heures. La route est longue depuis la caserne de Reuilly jusqu’à l’Elysée. Ni les forces n’auraient manqué contre une folle équipée, ni le temps pour en disposer. M. Déroulède comptait sans doute sur la population de Paris. Ceux qui l’ont vue, du matin au soir, parcourir les rues et les boulevards savent à quel point elle était calme, tout entière à la pensée du jour, infiniment éloignée de toute entreprise criminelle. La foule, pas plus que l’armée, ne se serait pas laissé entraîner à la suite de M. Déroulède, pour aller