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jusqu’ici bien en dehors de la politique pour avoir pris, non seulement au sérieux, mais au tragique les attaques dirigées contre M. Loubet. Il faut, aussi, le bien mal connaître pour lui avoir adressé d’avance des injonctions, des sommations impérieuses et avoir voulu lui imposer telle conduite, ou lui dicter tel langage. Il ne s’en est pas ému. Le message qu’il a adressé aux Chambres est une œuvre de sang-froid et de modération. Il s’y montre ce qu’il a toujours été, un homme également éloigné de toutes les exagérations. Il parle beaucoup de conciliation, d’apaisement et de concorde, toutes choses très désirables, à coup sûr, et que nous voulons croire toujours réalisables, bien qu’elles ne paraissent pas absolument prochaines. Enfin, il reste lui-même, simple, modeste, mais résolu à remplir son devoir avec une obstination que, dit-il, « rien ne rebutera. » Il faut lui savoir gré de cet engagement. On a trouvé son message un peu terne ; le style, si l’on veut, manque de couleur et de chaleur ; il n’est pas assez vibrant pour plaire à ceux qui, depuis quelques jours, ont vibré à outrance : il y a pourtant là toutes les choses nécessaires. Il y est question des Chambres, de la magistrature, de l’armée, et, sur le respect qui est dû à chacune de ces grandes institutions. M. Loubet a écrit quelques mots très justes. Mais les uns auraient voulu qu’il parlât de la magistrature et non pas de l’armée, et les autres de l’armée et non pas de la magistrature ; il n’a évidemment satisfait ni ceux-ci ni ceux-là. Lorsque la bourrasque qui souffle encore sera tout à fait tombée, on reconnaîtra qu’il a dit ce qu’il devait dire, et que si son message manque d’éclat et de relief, il ne manque ni de sagesse, ni de prudence, qualités plus importantes. L’imagination populaire, un moment troublée, reprendra son équilibre, et à l’émotion injustifiée du premier moment succéderont de longues heures tranquilles et apaisées. Comme son prédécesseur, M. Loubet est sorti du peuple. Comme lui, il est le fils de ses œuvres. La démocratie laborieuse et récompensée de ses efforts, militante et triomphante, peut se reconnaître dans cette figure au même titre que dans celle qui vient de disparaître. Pourquoi n’accueillerait-on pas M. Loubet comme on a accueilli M. Félix Faure, avec bienveillance et confiance ? L’homme mérite ces sentimens : quant à savoir ce que sera le président, c’est encore le secret de l’avenir.

Ce n’est pas sa faute, évidemment, si sa prise de possession du pouvoir a été accompagnée des circonstances que nous avons rappelées, et de celles qui nous restent à dire. Il y a eu des arrestations destinées à produire quelque effet ; mais qui donc les a rendues iné-