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suivi leur carrière, de marquer entre eux une différence. Ils ont toujours professé les mêmes opinions et agi de la même manière. Si on dépouillait à nouveau les scrutins auxquels ils ont pris part autrefois, lorsque tous les deux faisaient partie de la même Chambre, on verrait qu’ils ont constamment voté dans le même sens, au point qu’on n’arriverait pas à les distinguer l’un de l’autre par une nuance appréciable. Depuis, M. Loubet a été nommé sénateur, et enfin président du Sénat. Aussi longtemps qu’il a été simple sénateur, il a continué de défendre au Luxembourg les principes que M. Méline défendait au Palais-Bourbon. Devenu président, ses fonctions lui ont imposé une réserve dont il ne s’est pas départi. Il s’est alors, suivant l’usage, abstenu de voter, et a fermé sa porte aux reporters. Il n’a certainement pas changé d’opinion, mais il n’en a plus exprimé aucune : situation commode pour un homme politique, et particulièrement propre, en le mettant en dehors des querelles quotidiennes où d’autres s’épuisent et quelquefois s’usent, à lui refaire une sorte d’innocence aux yeux des partis et à le maintenir intact pour toutes les occasions. Tel est le seul avantage que M. Loubet avait, ou qu’il semblait avoir sur M. Méline : on va voir qu’on ne le lui a pas laissé bien longtemps. À cette exception près, celui-ci valait celui-là exactement ; et voilà pourquoi, si leurs deux candidatures avaient été posées ou maintenues l’une à côté de l’autre, les votes se seraient divisés suivant des préférences personnelles, et non pas d’après des considérations politiques. Il en serait résulté une confusion fâcheuse. Mais ce danger a été tout de suite écarté. M. Méline a, dès la première heure, fait connaître à M. Loubet sa résolution de ne pas poser de candidature contre la sienne, et il y est resté fidèle jusqu’à la dernière. Si quelques-uns de ses amis ont persisté à voter pour lui, c’est non seulement sans son adhésion, mais contre sa volonté formelle. On se demande, dès lors, d’où a pu venir l’extraordinaire malentendu qui a paru se produire, et qui n’est pas encore complètement dissipé.

Rien n’est pourtant plus simple : il est venu de ce que les radicaux-socialistes n’avaient pas de candidat et ne pouvaient pas en avoir. Ils ont cherché parmi eux et n’ont rien trouvé. C’est un phénomène politique d’autant plus remarquable qu’il est nouveau. À toutes les élections précédentes les radicaux-socialistes, même lorsqu’ils n’avaient qu’une demi-confiance dans le succès, avaient tenu à honneur de mettre en avant un des leurs. Il leur semblait alors qu’un parti qui n’osait pas se compter en public abdiquait, et ils ne voulaient pas abdiquer. Depuis, c’est-à-dire pendant la présidence de M. Félix Faure,